FINANCES DE L'EUROPE - Tout savoir sur le budget de l'Europe

L'incidence de la hausse de l'euro sur les dépenses de l'Europe

L'euro fort renchérit les subventions agricoles


La hausse de l’euro pénalise les exportations européennes. Quand celles ci sont déjà plus chères que les produits comparables non européens, le handicap devient alors quasi insurmontable. A moins d’être compensé par des subventions qui permettent de ramener les exportations européennes au prix des concurrents. Un tel mécanisme existe au profit des exportations agricoles européennes, subventionnées par le budget communautaire. Naturellement, plus le différentiel prix européen /prix mondial est élevé, et plus ces compensations sont sollicitées. C’est ce qui se produit avec la hausse de l’euro, à la fois défavorable aux exportations non subventionnées et budgétairement coûteuse pour celles qui le sont.

Le mécanisme est simple. Les subventions, pudiquement appelées restitutions, sont versées aux exportateurs de produits agricoles pour compenser l’écart entre le prix communautaire, en général plus élevé que le prix mondial, et ce dernier. Ainsi, quand le marché mondial est à 100 (euros/dollars) et que le produit européen est à 110, l’exportateur reçoit une restitution de 10 qui lui permet de vendre à l’extérieur de l’Union européenne. Le mécanisme se complique avec la prise en compte des facteurs monétaires. Le négoce international est en dollars alors que le prix communautaire est en euros. Ainsi, à prix communautaire constant, l’écart avec le prix mondial en dollars peut changer du seul fait des variations de parité. Avec une hausse de 10% de l’euro par rapport au dollar par exemple, le prix en dollars du produit européen passe à 121 (110 plus 10%), et l’exportation devient alors impossible sans augmentation de la restitution.

Le dispositif, créé en 1968 pour faciliter la résorption des excédents agricoles, est efficace mais coûteux. Bien qu’elles aient diminué de moitié en dix ans, les restitutions représentent encore 4,1 milliards d’euros dans le budget 2003, soit 4,1% du budget total de l’Union européenne. Il s’agit d’une enveloppe prévisionnelle faite au moment de l’élaboration du budget. Le montant définitif s’ajuste aux taux de change réels. Un euro plus faible que le « taux budgétaire » prévisionnel se traduit par une économie, et un euro plus fort engendre une dépenses supplémentaire. Une augmentation de 1 centime d’euro par rapport au dollar entraîne une augmentation des restitutions de 25 millions d’euros. Si elle se maintenait tout au long de l’année, l’envolée de l’euro de 20% depuis janvier se traduirait donc par un surcoût de 500 millions d’euros.

Le mécanisme des restitutions existe pour la plupart des produits agricoles mais à des degrés et avec des objectifs différents. L’impact des variations monétaires est donc très inégal selon les secteurs. Pour certaines productions, l’effet est faible, pour des raisons de volume ou de prix. Dans le secteur de la viande bovine par exemple, l’exportation extra communautaire reste marginale. Les éventuels excédents de production sont soit stockés en attendant d’être remis sur le marché plus tard, soit exportés avec une aide. La restitution joue son rôle originel d’amortisseur de crise. La hausse de l’euro rend simplement cette opération plus coûteuse mais l’impact reste limité. Le secteur des céréales se présente très différemment. Le marché est beaucoup plus tourné vers l’exportation, mais les restitutions sont faibles car depuis la baisse des prix décidée en 1992 et 1999, les prix communautaires sont désormais proches du prix mondial, souvent dicté par les Américains. Les exportations sont donc, a priori, très sensibles aux parités monétaires. Sauf que depuis deux ans, les marchés sont captés par les céréaliers Russes et Ukrainiens qui proposent des prix inférieurs de 30% aux prix communautaires. Ainsi, quelle que soit la parité de l’euro, les exportations européennes sont évincées par un écart de prix irrattrapable. Cette situation ne serait que provisoire mais, en attendant le retour des compétiteurs traditionnels, l’impact de la parité de l’euro est faible.

En revanche, l’effet de la hausse de l’euro est important pour d’autres secteurs tributaires des exportations et des restitutions. Les deux tiers des crédits sont destinés aux exportations de produits laitiers (1,57 milliards d’euros) et de sucre (1,25 milliards). Dans ces secteurs, les restitutions sont moins destinées à faciliter l’écoulement d’une surproduction transitoire, que permettre d’être présent sur des marchés internationaux et exporter vers des pays à faible pouvoir d’achat. En Bretagne par exemple, certains producteurs de volailles produisent uniquement pour les marchés du Proche et Moyen orient, mais ces exportations sont totalement dépendantes des restitutions.

La situation est plutôt embarrassante pour la Commission. Sur le plan interne, la hausse de l’euro laisse place à un dilemme : soit augmenter les restitutions pour maintenir les courants d’exportation, entraînant la colère des Etats membres non exportateurs contraints de financer les exportations agricoles d’autres Etats membres (notamment la France, premier bénéficiaire des restitutions), soit, à enveloppe constante, réduire les quantités d’exportations subventionnées, sachant qu’un marché abandonné est un marché perdu pour toujours et au risque d’entraîner une crise par la réapparition d’excédents non écoulés.

Sur le plan externe, cette hausse de l’euro tombe on ne peut plus mal. Il va sans dire que les restitutions sont extrêmement critiquées par nos compétiteurs et sont au centre des négociations commerciales internationales. Déjà, en 1994, les accords de Marrakech avaient imposé une baisse des restitutions européennes de 36%. C’est au moment même où la Commission s’apprêtait à proposer de nouvelles baisses de restitutions de 45% qu’elle se voit presque contrainte de les augmenter…


Mots clés : euro, dépenses agricoles, restitutions, parité euro dollar,subventions, exportations agricoles
Source : Le Monde
Date : 03/06/03

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.