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Le marché du lait ne tourne pas rond

 

La crise du lait préfigure les crises agricoles de demain

 

Début 2008, lorsque le prix du lait atteignait presque des records après plusieurs années de marasme, les éleveurs gagnaient 8 centimes par litre. Aujourd’hui, ils perdent 5 centimes par litre, 30.000 euros par vache sur un an. La situation est intenable. Comment en est-on arrivé là ?

 

Voilà plusieurs années que l’UE multiplie les signaux défavorables aux éleveurs français. Depuis la réforme de la Politique agricole commune (PAC) en 2003, les prix ne sont plus garantis mais sont fixés par le marché, national pour les produits frais (lait, beurre et fromage) ou international (poudre de lait). Le revenu des éleveurs est complété par des aides directes aux revenus, versées par le budget communautaire. La réforme montre aujourd’hui ses limites. En agriculture, le marché régulateur est un mythe. Le marché peut être profiteur ou dévastateur mais il régule très mal. Car il y a toujours un décalage entre le signal des prix et les réactions des producteurs. Quand les prix augmentent, l’offre – la production-  s’ajuste avec retard, car les éleveurs ont toujours tendance à temporiser, afin de s’assurer que la hausse des prix est bien ancrée. Le risque est alors que la production augmente quand le marché se retourne, comme ce fut le cas en 2008. Les producteurs sont encore plus démunis quand les prix baissent. On ne met pas les vaches au chômage technique quand la demande diminue ! S’il n’y a plus de surproduction structurelle comme avant, il existe toujours des surproductions conjoncturelles, du fait de ce décalage. En période de prix bas, les éleveurs ne peuvent plus vivre de leur production et l’aide européenne devient cruciale. Leur dépendance à l’égard de l’UE est totale. Les éleveurs, assistés, n’ont pas d’autre choix que celui d’espérer le maintien d’un système qu’ils abhorrent. Ainsi, la réforme de la PAC n’a pas fait cesser les surproductions mais a rajouté une dose d’humiliation.

 

Deuxième signal : l’abandon en 2013 des quotas laitiers, qui préservent les productions dans des régions défavorisées et les petits élevages, a été confirmé par le bilan de santé de la PAC fin 2008. La clause de rendez vous censée faire le point en 2010 est illusoire car la fin des quotas est ardemment demandée par  plusieurs Etats membres qui ont de gros potentiels laitiers. Abandon des quotas, abandon des éleveurs... le pas est vite franchi.

 

La Commission est contrainte in extrémis d’accepter de remettre des restitutions, des aides à l’exportation, pour évacuer les nouveaux surplus sur une partie des productions. Alors que la Commission n’a cessé de considérer les crédits de la PAC comme une réserve disponible pour financer de nouvelles dépenses, elle pourrait bientôt annoncer, penaude, que le budget agricole est trop faible pour faire face à la crise....

 

L’Etat est également très embarrassé. Hier, du temps de la PAC administrée, alors qu’ils disposaient de tous les outils de maîtrise, les Etats ont été incapables d’imposer les ajustements nécessaires. La réforme fut imposée par la Commission. Aujourd’hui, les Etats sont également démunis. Il y aurait bien de l’argent européen (10 milliards par an en France) à condition de reporter une partie des aides des grandes cultures sur les éleveurs. C’est le nouveau leit motiv du ministre de l’agriculture qui appelle à « une PAC plus juste », sous entendu, avec des aides mieux réparties. Cette évolution est envisagée pour demain mais la crise est aujourd’hui. Une autre possibilité serait de soutenir les revenus des éleveurs directement par le budget national. Mais cela donnerait le signal du cofinancement généralisé de la PAC c'est-à-dire d’un financement mixte, communautaire et national, ce que la France veut éviter le plus longtemps possible.

 

Troisième facteur, la crise impacte beaucoup le prix du lait. Il serait tentant d’accuser la grande distribution, qui  a l’impudence de se parer des vertus du commerce équitable au loin et d’humilier les producteurs locaux en leur imposant des prix d’asphyxie. Mais la crise entraîne des changements de consommation avec un recul des achats des produits chers (fromages de table et yaourts) et un arbitrage vers les premiers prix des produits de base, le lait, que les distributeurs vendent de plus en plus sous leur propre marque et pratiquement sans marge. La seule façon de baisser les prix de vente est de baisser le prix d’achat au producteur. Les producteurs font donc les frais de la compétition entre distributeurs.

 

Enfin, l’organisation du marché présente quelques faiblesses. La révolte des producteurs est compréhensible. Aux prix actuels, leur survie est en jeu. Ils ont le sentiment d’être abandonnés, trompés et condamnés. Mais ont-ils choisi la bonne méthode, les bons combats ?

 

Le retour à la PAC administrée et aux quotas est illusoire. D’ailleurs, en vérité, c’est moins la PAC qui est en cause que la structure des coûts et la négociation des prix. La France a choisi un modèle de petites exploitations, réparties sur le territoire. Ce modèle est à son honneur mais a aussi un coût qui doit être compensé. Les dépenses d’équipement par exploitation sont pratiquement les mêmes qu’ailleurs en Europe mais la production est beaucoup moins importante. L’exploitation se fait surtout par groupement de petits éleveurs et non par salariés comme dans beaucoup d’autres Etats membres.

 

Il faut aussi  reconnaître que certains Etats s’en sortent mieux que d’autres. En Allemagne par exemple, la réactivité des éleveurs est meilleure car les prix s’ajustent immédiatement au marché. Pour simplifier, le prix du lait, national, est lié au prix de la poudre de lait, international, les variations de prix sont donc immédiates, sans décalage comme en France.

 

Il faut inventer de nouveaux modes de commercialisation et de négociation. Les ventes directes par des camions distributeurs, encore anecdotiques, peuvent régler des situations locales tendues. À condition que le producteur audacieux ne soit pas mis sur la liste noire des fournisseurs des centrales d’achat ! Mais les améliorations doivent être surtout cherchées dans la négociation des prix. La contractualisation peut prendre le relai des quotas. Pourquoi les éleveurs ne pèseraient-ils pas plus sur le marché ? Le secteur compte 100.000 éleveurs, quelques centaines de coopératives face à quelques industriels et une poignée de centrales d’achat. La négociation est par trop déséquilibrée.

 

Le lait n’est que le premier secteur touché. Il y a tout lieu de penser que cette crise préfigure les crises agricoles qui, secteur après secteur, ne manqueront pas de survenir pendant les deux prochaines années. Il en sera ainsi tant que la PAC ne sera pas refondée sur des bases qui soient claires et acceptables pour tout le monde.

 

 


Mots clés : lait , prix du lait, quotas laitiers, régulation
Source : les échos 26 mai 2009
Date : 04/08/2009

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.