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Le cocktail à 500 millions d'euros

 

Le cocktail d’été à 500 millions d’euros

 


C’est la mauvaise surprise de l’été: la Commission a sommé l’Etat français de récupérer 500 millions d’euros correspondant aux aides irrégulières attribuées au secteur des fruits et légumes entre 1992 et 2002. Comment en est-on arrivé là ? Voici la recette de ce cocktail d’été explosif.

 

 A la base, il y a incontestablement quelques irrégularités. Les agriculteurs français, comme tous les agriculteurs européens, restent très dépendants des subventions de la politique agricole commune (PAC) qui intervient dans trois domaines : soit pour soutenir des revenus (par les aides directes aux revenus), soit pour aider à gérer les marchés (par ce qu’on appelle les interventions en stockant les productions quand il y a des surplus par exemple), soit pour contribuer à la transformation du secteur et au développement rural (aides dites du « deuxième pilier »). Mais ces aides n’épuisent pas tout et chaque Etat conserve des moyens budgétaires pour compléter les subventions européennes ou pour soutenir des actions qui sont hors du champ communautaire (enseignement agricole). L’intervention nationale est cependant strictement encadrée et ne doit en aucun cas contrevenir au grand dogme communautaire : la libre concurrence dans un marché unique. Tout ce qui peut fausser la concurrence est strictement interdit.

 

Mais la ligne n’est pas toujours évidente notamment entre les aides structurelles cofinancées par l’UE par le deuxième pilier (type arrachage de vignes ou aides à l installation des jeunes agriculteurs) et les aides conjoncturelles d’aide à l’écoulement des productions nationales, qui elles sont strictement prohibées. Ainsi, l’Etat peut financer une campagne de promotion qui dirait « mangez des fruits » mais pas une promotion des « fruits de la Drôme » ou a fortiori des « fraises de France ». De même, la ligne est mince entre l’aide à la conservation des fruits, autorisée, et l’aide au transport, prohibée, entre la promotion des moules du Mont Saint Michel », autorisée parce qu’il s’agit d’une appellation d’origine contrôlée, et la détaxation du gasoil des bateaux de pêche, refusée.

 

Telle est la règle. Mais il arrive que la ligne soit franchie et que les Etats aident, sans trop le faire savoir, la commercialisation de produits nationaux. C’est ce qui s’est produit pendant dix ans, avec des aides à la commercialisation, à la transformation de fruits en conserve et surtout, à l’exportation dans les autres Etats membres de l’UE, distorsion caractérisée à la libre concurrence. Des aides attribuées aux organisations de producteurs français et non aux producteurs italiens et espagnols bien évidemment....

 

Une irrégularité parfaitement répréhensible mais sans doute assez courante... A hauteur sans doute de 388 millions d’euros auxquels il faut ajouter autour de 150 millions d’intérêts depuis les faits.

 

Deuxième élément du cocktail : une bonne dose d’hypocrisie. Car il faut reconnaître que cette méthode arrangeait beaucoup de monde. Le secteur des fruits et légumes est le plus difficile à gérer. Il fait chaud, la production monte. Il fait froid, la consommation chute. Quand il fait chaud au sud et froid au nord, c’est la catastrophe. Sans parler des coups de grêles qui peuvent anéantir une production en 10 minutes ! Par ces aides, l’Etat évitait de gérer des jacqueries paysannes liées aux surproductions. Les agriculteurs faisaient face aux concurrences des deux grands pays producteurs de fruits et légumes, l’Italie et l’Espagne avantagés par des coûts de production inférieurs et des monnaies chancelantes. L’accusation de l’Etat par certains syndicats agricoles est un peu déloyale car le système était connu de tous et arrangeait beaucoup de monde. On ne peut exclure que même l’UE n’ait pas voulu regarder de trop près puisque cet écoulement évitait les interventions c’est à dire le rachat des productions, suivies du spectacle navrant des décharges de tonnes de fruits.

 

Enfin, troisième élément, quelques maladresses viennent pimenter le tout. Tout d’abord, l’opinion a compris qu’elle risquait de payer pour embourser Bruxelles. C’est évidemment faux puisqu’il ne s’agit pas cette fois d’aides européennes irrégulières mais d’aides nationales attribuées aux producteurs français.  Ensuite, le ministre a annoncé que les agriculteurs rembourseraient. Est-ce bien raisonnable ? Que va –t-il se passer ? Dans ces affaires, un double contentieux auprès de la cour de justice européenne est engagé : l’un à l’initiative de la Commission européenne qui poursuit l’Etat pour manquement à ses obligations, l’autre à l’initiative de l’Etat et des producteurs concernés pour décision infondée : les aides n’ont pas altéré la concurrence. La France ne manque pas d’arguments :la filière espagnole des fruits et légumes se porte bien et on peut même considérer que l’aide de l’Etat a entraîné une économie pour le budget communautaire qui aurait été obligé de racheter et de détruire les suprplus . Un contentieux de plusieurs années va donc s’ouvrir. La somme sera ramenée à 100, 200 millions peut être. Et après ? Comment l’Etat va-t-il récupérer cet argent qu’il versait à quelques 300 organisations de producteurs et qui était redistribué entre des légumiers et des arboriculteurs il y a quinze ans ? Dans le contexte actuel, les nouveaux producteurs vont-ils rembourser des sommes qui ont bénéficié à leurs parents ? C’est évidemment inimaginable. Il faut que chacun sorte la tête haute et certaines organisations vont rembourser quelque chose mais pour le reste, autant faire une croix dessus, et selon toute vraisemblance, ces sommes ne seront pas remboursées par les producteurs. L’affrontement serait par trop explosif. Le crédit affectif dont bénéficiait M. Le Maire, notamment en annonçant un nouveau ministère de l’alimentation et de l’agriculture est un peu écorné. De même, c’est le secteur tout entier qui pâtit de l’opprobre alors qu’une partie des producteurs n’a jamais rien touché.

 

Mais alors, à qui profite le crime ? L’affaire est très embarrassante à un autre titre. L’UE est à la veille de négociation budgétaire cruciale pour la PAC et pour la France en particulier, qui va déterminer les crédits agricoles de l’après 2013. Il ne s’agit pas d’un complot contre la France mais par cette affaire, sans doute de façon involontaire, bien sûr, la Commission met un coin entre la France et l’Espagne, son allié éventuel dans la négociation, et semble dire : vous voyez, la France est le premier bénéficiaire de la PAC et en plus elle triche. Un cadeau pour les pays qui veulent en finir avec la PAC. Cette affaire des 500 millions n’est que l’apéritif amer de la négociation des 50 milliards de la PAC.

 


Mots clés : aides nationales , fruits et légumes , surproduction
Source : non publié
Date : 07/08/2009

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.