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Grève du lait: une mauvaise idée

 

Grève du lait : une très mauvaise idée
 
Ainsi, les éleveurs s’apprêtent à entamer une « grève du lait », en refusant de livrer aux laiteries. Certes, la situation est intenable. Le compte n’y est pas, les prix sont trop bas. Selon le syndicat des producteurs indépendants, « 30 % des éleveurs sont mourants ». Mais une grève du lait?
 
Une grève peut –elle faire remonter les prix ? 2 centimes par litre permettraient de compenser 10 jours de grève. Mais laisser penser qu’une baisse des quotas est possible est une supercherie. Sur ce sujet, la partie est jouée. Une large majorité d’Etats membres reste favorable à l’augmentation et/ou la suppression des quotas, décidées il y a moins d’un an, et, malgré la crise actuelle, beaucoup d’Etats restent sur cette position soit par choix doctrinal, soit parce qu’ils ont des potentiels inexploités, soit parce qu’ils payent des pénalités pour dépassement. Même les Etats les plus réservés sur l’augmentation des quotas en ont pris leur parti. D’ailleurs, les quotas administrés, appliqués pendant trente ans, n’ont jamais vraiment limité la production (les deux secteurs à quotas, le lait et le sucre sont aussi les deux secteurs qui ont connu le plus longtemps des surproductions chroniques !) et force est de constater que depuis la crise, les productions s’ajustent d’elles même à la diminution de la demande et la baisse des quotas ne changerait rien.
 
Alors une grève pour rien ? Hélas non. La grève du lait peut avoir des effets dévastateurs.
 
L’enjeu de l’automne est de réussir le projet de contractualisation des relations entre producteurs et fabricants, mêlant engagement de prix et gestion de l’offre. Mais le rapport de forces est aujourd’hui défavorable aux éleveurs, mal organisés face à une poignée d’industriels qui pèsent sur le marché mondial. En quoi une grève va–t-elle changer cette situation ? Le monde de l’élevage est très divers et, surtout, moins solidaire qu’on pourrait le penser : il y a les éleveurs de plaine et ceux de montagne, les éleveurs qui vendent le lait assez cher pour le fromage à haute valeur ajoutée et ceux qui produisent pour le lait UHT, les éleveurs à gros potentiel et d’autres qui ne peuvent fragiliser leur laiterie de proximité sans risquer de disparaître avec elle. Le premier risque est que la grève montre au grand jour la principale faiblesse du monde agricole : sa grande division.
 
Dans ce bras de fer entre éleveurs et fabricants de produits laitiers, le deuxième risque est de faire le jeu de ces derniers. Car si les éleveurs n’ont guère le choix de livraison, les grands fabricants peuvent toujours aller se fournir ailleurs, là ou le prix du lait est encore moins cher. Il faut être attentif aux nouveaux courants d’importation, cohérents avec la logique du marché unique, mais auxquels les producteurs ne sont guère habitués. En valeur (ce serait encore plus net en volume), en deux ans, les importations de lait d’Allemagne et des Pays Bas ont augmenté de 50 % et de 100%. La France importe même un peu de lait de Pologne et de République Tchèque, encore quasiment inexistants sur le marché national jusque là. Et si les fabricants, faute de lait local, n’attendaient qu’une occasion pour se fournir ailleurs ? Les éleveurs «grévistes» le leur offrent sur un plateau.
 
La grève du lait  vise à sensibiliser l’opinion. Mais même cette cible risque d’être ratée. Quand le lait est tiré il faut le vendre. Car que faire du lait non livré aux laiteries? Le stocker ? – dans des tanks réfrigérés prêtés par les laiteries ...-, l’éliminer, en le déversant dans les rues ? Les agriculteurs doivent être conscients que, même s’il subsiste un fond de sympathie pour le monde paysan, les réactions de l’opinion aux reportages agricoles sont globalement négatives. 2/3 du millier de SMS à l’émission C dans l’air consacrée aux fruits et légumes ou ¾ des courriers de lecteurs suite aux articles de presse écrite montrent une irritation, une hostilité même, à l’égard des agriculteurs « assistés et pollueurs ».... Le monde paysan fait le gros dos en espérant que cela passe et, sujet après sujet, rate ses rendez vous avec l’opinion. Cela ne s’arrangera pas en déversant du lait dans les caniveaux ! Même le combat sur les prix du lait, pourtant légitime, sera perdu s’il est présenté uniquement sous l’angle financier. Il serait plus judicieux de porter le débat sous l’angle politique. Les éleveurs peuvent faire valoir une vison de la société où, en France, 60 % des vaches laitières sont encore dans les champs et non pas en batteries hors sol comme l’incite le modèle productiviste. Sur ce combat, ils peuvent être suivis. Sinon...
 
Les éleveurs devraient renoncer à la grève. Ou alors pas sous cette forme. Pourquoi pas une grève à la japonaise par exemple, avec brassard ? C'est-à-dire, en l’espèce, avec un large « ruban de grève », attaché entre le poitrail et la queue, sur le modèle des trophées des lauréates du concours général agricole. Il y aurait en tout cas moins de dégâts collatéraux. Ce ne serait pas la première fois que les vaches serviraient de support de publicité mais jamais encore elles ne se sont plaintes. C’est le moment.
 
 
Nicolas-Jean Brehon
auteur de quelles régulations pour le secteur laitier ? Note de la Fondation Robert Schuman juillet 2009  


Mots clés : lait, quotas laitiers, importations de lait,
Source : les échos 14 septembre 2009
Date : 30/09/2009

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.