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Manifestations agricoles et plans de campagnes ?

Manifestations agricoles et plans de campagne ?
 
 
Les agriculteurs manifestent pour défendre leurs revenus. La situation actuelle est intenable et indigne. Et pourtant, ce  mouvement laisse une impression de décalé. Les agriculteurs gardent une force de mobilisation intacte  - le président de la République n'a-til pas annoncé un plan d'urgence, un "plan de campagnes".- mais l’utilisent –ils à bon escient ?
 
L’expérience de la crise laitière doit être analysée. Les éleveurs luttent pour des revenus décents, et on peut les comprendre. Mais ce faisant, ils mènent un combat catégoriel alors que la question est par essence collective. La demande est financière mais la solution est politique. L’élevage laitier est emblématique d’un modèle agricole en crise. Quelle agriculture sera présente sur le marché, demain ? Le modèle champêtre, rassurant, avec des vaches disséminées dans les champs, ou des élevages en ateliers usines hors sol, avec des vaches en batterie, sans corne, comme il existe des poulets sans plume et sans bec, des porcs sans dent, formatés pour l’abattage. Le combat agricole d’aujourd’hui, c’est le combat de l’herbe et du ciment, de la diversité des espèces ou de la vache unique, c’est le choix entre une agriculture qui a encore les pieds sur terre et une autre qui suit les cotations de la poudre de lait à Hanovre.  Les deux modèles peuvent-ils coexister ? En restant fixés sur des revenus, les agriculteurs renoncent aux appuis qu’ils trouveraient s’ils posaient les vraies questions.
 
Car la Politique agricole commune (PAC) ne sera sauvée que si l’opinion considère qu’elle est utile. Non seulement profitable aux agriculteurs, mais utile. A tous. Pour une sécurité alimentaire, pour la confiance qu’elle inspire, pour le modèle qu’elle transmet, pour le respect qu’on doit à ceux qui nous font vivre et manger. L’agriculture d’aujourd’hui traverse une crise de légitimité. La PAC n’est plus qu’un budget sans politique, une assistance sans direction. Les agriculteurs se passeraient volontiers des primes européennes s’ils pouvaient, si les prix étaient suffisants. Mais, désormais sous la pression internationale, ils ne le sont pas et chaque crise se traduit par des subventions supplémentaires. Les éleveurs voulaient des prix et non des primes. C’est pourtant ce qu’ils ont eu, avant de s’en accommoder puisque le système est ainsi construit, de fuite en fuite, d’enveloppe en enveloppe. Jusqu’à quand ?
 
Les manifestations agricoles visent à resserrer les rangs, distendus depuis la grève du lait. Alors qu’il faudrait plutôt ouvrir les bras, répondre aux interpellations de la société, tout aussi légitimes que la défense des revenus des producteurs, et imaginer d’autres modes de fonctionnement. Il  faut sans doute penser l’agriculture autrement. Il y a bien longtemps que l’agriculture a cessé d’être une question agricole. Si l’agriculture va de crise en crise, c’est que ni les dogmes libéraux ni le mythe d’une PAC administrée ne fonctionnent. Ou que quelque chose manque.
 
Manque d’argent ? Mais à quoi ont servi les 1000 milliards versés à l’agriculture européenne depuis 20 ans en Europe, dont 200 milliards en France? Pour restructurer, pour être compétitif, mais avec quel résultat ? Les restructurés sont encore trop nombreux et les compétitifs ne le sont jamais assez ! Il y a quelque chose d’incompréhensible. Pour tout le monde. Y compris pour les principaux intéressés. Il manque une pédagogie de crise.
 
Et si, le manque c’était l’autre, le lecteur qui lit ces lignes, qui consomme des produits alimentaires que le producteur révolté produit. Mais tout se passe comme si les deux sphères étaient indépendantes. Le producteur se contente d’être un fournisseur de matières premières. Comment réguler des productions si personne ne parle jamais de la demande ? La régulation de l’offre n’a de sens que si elle s’accompagne d’un plan de commercialisation, comme le font le Canada ou la Suisse. Bien des crises auraient pu être évitées si l’on avait procédé ainsi. C’est à la fois élémentaire et tellement révolutionnaire qu’il faudra sans doute encore plusieurs manifestations pour y penser vraiment.


Mots clés : crise agricole, nouvelle PAC, agriculture et citoyenneté
Source : Slate 27 octobre 2009
Date : 22/10/2009

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.