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L'agriculture verte

L’agriculture verte


L’agriculture se trouve aujourd’hui au centre de la révolution technologique et des peurs culturelles de la fin du siècle. La vache folle, le poulet toxique, la brebis clonée et le maïs manipulé montrent que le couplage agriculture/ environnement/ santé s’est opéré.

L’agriculture n’a pas atteint les objectifs qui lui étaient assignés, en gagnant les défis de la production, des prix et de la compétitivité, sans nouveaux modes d’exploitation ni amélioration des intrants, autrement dit sans intensification de l’élevage et des cultures, ni engrais et pesticides. Mais les uns et les autres ont aussi un coût environnemental de plus en plus lourd, ou plutôt, de moins en moins accepté. Erosion des sols, pollution des eaux, contribution à l’effet de serre, l’agriculture n’est pas épargnée par les mises en accusation et les préoccupations montantes de protection de l’environnement, même si elle n’est, dans ce domaine, qu’un acteur parmi d’autres et souvent secondaire. Agriculture et protection de l’environnement ne sont pas forcément incompatibles mais ne sont pas spontanément complémentaires. Pour l’ancien commissaire européen à l’agriculture, « il existe naturellement un rapport de tension entre l’agriculture et la protection de l’environnement ».

Les premières passerelles entre l’agriculture et la politique environnementale de l’Union européenne remontent aux début des années 90 avec la multiplication d’initiatives d’ordre juridique, politique et budgétaire. En 1991, le Conseil adopte une « directive nitrates » qui concerne la pollution des eaux en milieu agricole. En 1992, les mesures agri-environnementales (MAE) figurent parmi les « mesures d’accompagnement » de la réforme de la politique agricole commune (PAC) et un règlement est adopté. En 1993, les premiers soutiens financiers sont individualisés dans le budget. Un soutien encore modeste puisque la dotation n’est alors que de 123 millions d’écus, soit 0,4% des dépenses agricoles de la Communauté.

Les MAE ont deux objectifs distincts. L’un, minimaliste, consiste à financer des mesures de type conservatoire pour maintenir des terrains jugées sains pour l’environnement (la mesure type est la prime à l’herbe, donnée à l’hectare de prairie). L’autre, plus ambitieux, est d’encourager les pratiques moins agressives pour l’environnement, en favorisant les reconversions de terres ou en limitant le recours aux engrais ou aux pesticides par exemple. Les dépenses supplémentaires ou les baisses de revenus sont alors compensées par les crédits agri-environnementaux.

L’élargissement de 1995 donne une nouvelle impulsion. Les crédits agri-environnementaux triplent l’année qui suit et la hausse se poursuit depuis à un rythme soutenu. 1938 millions d’euros (12,7 milliards de francs) sont inscrits dans le budget 2000, ce qui représente 4,7% du total des crédits de le la PAC. Le volume est donc désormais significatif. D’autant plus que, selon le principe de cofinancement, les mesures financées par l’Union le sont aussi par les Etats membres, à hauteur de 25 ou 50% selon les zones. Entre 1996 et 1999, les MAE ont représenté 10 milliards d’écus de dépenses en Europe (65 milliards de francs), toutes sources de financement confondues, dont 6,1 milliards en provenance du budget communautaire. La France a bénéficié de 9% de ce total, loin derrière l’Autriche, l’Italie et le Danemark qui absorbent à eux seuls près de 60% des crédits européens.

Ce qui n’était qu’une action accessoire, sinon symbolique, est devenu une politique à part entière et les MAE figurent maintenant parmi les « mesures de développement rural », deuxième pilier de la PAC. Cette évolution se traduit aussi sur le plan interne. Les MAE sont intégrées dans la nouvelle loi d’orientation agricole et les grands groupes et coopératives agricoles commencent à nommer des « directeurs de l’environnement ». Pour l’un d’eux, « l’environnement, on n’en avait jamais parlé, sinon de façon négative. C’est devenu un vrai enjeu ». Signe supplémentaire, les MAE échappent aux négociations de l’OMC.

Le virage est pris, l’objectif est ambitieux, les chiffres sont impressionnants, mais le pari, lui, est loin d’être gagné. On ne revient pas si facilement sur quarante ans de pratiques et les mentalités restent imprégnées par la culture du marché et de la production. Le dispositif, largement décentralisé, est complexe. Les contrats individuels doivent répondre aux cahiers des charges établis à trois niveaux selon l’importance de la mesure, par Etat membre, par région, ou par zone. La prime à l’herbe est une mesure nationale. Les mesures locales peuvent consister en la replantation de haies ou l’entretien de terrains à l’abandon etc. Chaque cahier des charges est donc préparé localement et soumis pour agrément à la Commission qui fixe les objectifs et les plafonds d’aide. La mécanique est lourde pour un faible rapport coût efficacité, ce qui explique qu’une part des crédits ouverts n’est pas utilisée.

Mais surtout, les deux orientations mentionnées ci dessus sont inégales. En France, comme dans le reste de l’Europe, les exploitants sont surtout intéressés par les primes à l’herbe et le maintien des pâturages, et très peu par les conversions de terres et les limitations des intrants. La prime, qui représente en France près de 80 % des MAE, n’est qu’une subvention à peine déguisée aux régions défavorisées. D’ailleurs, la plupart des bénéficiaires touchent la prime à l’herbe sans même savoir que c’est une mesure agri environnementale. Ainsi, les chiffres ne doivent pas faire illusion, et beaucoup reconnaissent que les crédits des MAE sont très insuffisants pour répondre aux enjeux environnementaux de l’agriculture.

Comment aller plus loin ? Deux options sont possibles. Il y a d’abord la solution pratique qui consiste à simplifier les procédures et réorienter les crédits vers des actions plus incitatrices. Et puis il y a la dissuasion : l’éco conditionnalité. L’idée est de subordonner ou de moduler le versement des dépenses de la PAC (40,9 milliards d’euros en 2000) au respect de pratiques saines sur le plan environnemental. Mais les considérations écologiques et agronomiques sont parfois contradictoires et le débat tourne vite à la caricature et à l’amalgame. On assimile trop vite paysage ou faibles rendements avec respect de l’environnement, et « on ne résoudra pas les problèmes d’environnement en supprimant les crédits de la PAC ! ». Les agriculteurs craignent que cette légitime préoccupation environnementale ne tourne à la suspicion systématique par rapport à l’acte de production agricole. La révolution verte ne fait que commencer.


Mots clés : PAC, agriculture, environnement, mesures agri-environnementales, MAE, développement rural, prime à l'herbe, écoconditionnalité
Source : Le Monde
Date : 14/12/1999

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.