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Les surproductions de fruits et légumes

La gestion des surproductions de fruits et légumes



La crise de la pêche est passée. Une autre suivra, cette année ou plus tard, sur la pomme, la poire ou le choux-fleur, on ne sait, mais elle arrivera. Car la France et l’Europe produisent toujours en trop grande quantité ces denrées qui ne trouvent pas preneurs et qui finissent en décharges. Il y a en vérité fort peu d’imprévus dans ce circuit qui est géré, contrôlé et financé par l’Union européenne. Seul le volume réel est inconnu, mais la Communauté est prudente : 20 millions d’euros sont provisionnés pour financer d’éventuels retraits, c’est à dire « la non mise en marché » des fruits et légumes. Comment fonctionne ce dispositif, quelles sont les indemnités perçues par les producteurs et quelles sont les perspectives?

Les règles appliquée en cas de surproduction.

La quasi totalité des fruits et légumes relève d’une organisation commune des marchés (OCM) qui prévoit un certain nombre de règles et de soutiens. L’une de ces interventions consiste à financer des opérations de retrait en cas de surproduction de certains produits. 16 produits sont éligibles à cette aide, dont les quatre déjà cités, plus l’abricot, le melon, la tomate, etc... La décision « de ne pas mettre sur le marché » relève des organismes de producteurs (les OP) qui regroupent associations, coopératives... Les produits retirés sont contrôlés par les douanes (contrôles des quantités, refus des lots atteints de pourriture...), qui délivrent un certificat de retrait, qui conditionne l’attribution d’une indemnité compensatrice de retrait (ICR). L’indemnité est versée par l’Office National Interprofessionnel des Fruits, des Légumes et de l’Horticulture (ONIFLHOR) sur les crédits ouverts dans le budget communautaire.

Ce dispositif, spécifique aux fruits et légumes, existe et fonctionne régulièrement depuis la première OCM, en 1972. Le système a failli exploser au début des années 90, victime de son succès. L’ICR, évaluée par rapport au prix de production d’origine, avait été plus ou moins reconduite par le Conseil les années suivantes sans tenir compte des progrès de productivité intervenus entre temps, de telle sorte que, au fil du temps, quelques producteurs s’étaient faits une spécialité de produire pour le retrait afin de bénéficier d’une indemnité devenue plus attractive que le prix du marché! Quelques « contrôles laxistes » avaient amplifié le phénomène et les retraits pouvaient alors atteindre des volumes considérables se chiffrant par millions de tonnes. La nouvelle OCM de 1996 a apporté des changements en programmant sur six ans les volumes éligibles et les prix de retrait. Les quantités susceptibles d’être retirées sont dégressives par rapport aux volumes commercialisés: 50% en 1998, 10% en 2002. Le montant de l’ICR est également dégressif et fort peu incitatif : 92 centimes le kilo de pêches cette année, 72 centimes en 2002, soit moins du tiers du coût de production.

Les producteurs français, comme les autres producteurs européens, ont toujours bénéficié de ces dispositifs, même si les efforts de maîtrise des production (arrachages de pommiers par exemple) et la baisse de l’ICR ont conduit à une diminution progressive depuis le pic de 1992 (1,2 millions de tonnes avaient alors été présentées au retrait). Entre 260.000 et 370.000 tonnes ont été présentées au retrait au cours des trois dernières années pour un coût compris entre 250 et 400 millions de francs. Première production visée : les pommes (200.000 tonnes retirées en 1998, 850.000 tonnes en 1992 ! ), suivie par les choux-fleurs et les pêches.

Le sort des marchandises excédentaires

Que deviennent les fruits excédentaires ainsi communautarisés? Trois destinations sont prévues: la distribution gratuite aux organisations caritatives, hôpitaux ou établissements pénitentiaires, « à condition que les quantités distribuées s’ajoutent à celles qui sont normalement achetées par ces établissements », l’alimentation animale et la distillation, ou l’« utilisation à des fins non alimentaires », autrement dit la destruction, la dénaturation (par pulvérisation de pétrole ou de teinture), le compostage ou la biodégradation en décharges ou dans les champs. En fait, 85 % des retraits font l’objet d’une destruction, ce pourcentage atteignant 98 % pour les pêches et nectarines. L’alimentation animale et les distributions gratuites, ne représentant respectivement en France, que 10-12% et moins de 5% des retraits.

Avec les efforts de maîtrise de production et la baisse des compensations financières, les surproductions devraient diminuer à l’avenir. Il paraît pourtant difficile d’éliminer totalement le phénomène, tant la vulnérabilité des certaines productions aux nouvelles concurrences (pommes) ou aux conditions climatiques (choux-fleurs) est forte, et tant les dynamiques de consommation sont fragiles (pêches). Toute surproduction ne paraît donc pas pouvoir être éliminée. Les responsables d’Oniflhor expliquent qu’elle est même parfois utile pour l’exportation, en donnant la marge nécessaire pour assurer une présence sur les marchés étrangers. Une production auto suffisante est logiquement réservée au marché intérieur, alors qu’il faut dix ans pour reconquérir un marché extérieur délaissé.

La mise en décharge et les destructions massives devraient elles aussi régresser. La première sera de plus en plus difficile et les effets médiatiques des destructions de fruits et légumes sont toujours désastreux. Des considérations écologiques s’ajoutent désormais aux seules considérations humanitaires. En 1995, la Cour des comptes européenne avait déjà relevé que « la répétition d’opérations de destructions et les quantités énormes de produits ensevelis avaient entraîné de graves problèmes de pollution ». Le cas concernait un Etat du sud, mais quelques sites de la vallée de la Durance seraient également touchés.

Les distributions alimentaires aux organisations caritatives sont encore particulièrement faibles dans notre pays, de l’ordre de 3-4% du total des quantités retirées en 1998, et le prochain rapport de la Cour stigmatisera l’insuffisance des efforts réalisés en France dans ce domaine. Les contraintes de transport et de conservation sont toutefois des obstacles réels aux efforts de solidarité. Le dernier échec est la tentative d’envoyer cet été 2000 tonnes de pommes de terre bretonnes au Kosovo. Les conditions de stockage n’étaient pas assurées. L’opération a été annulée.


Mots clés : PAC, OCM, subventions agricoles, fruits, légumes, surproduction, excédents, retrait, ICR, distribution alimentaire, décharge, Oniflhor,
Source : Le Monde
Date : 21/09/1999

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.