FINANCES DE L'EUROPE - Tout savoir sur le budget de l'Europe

L'OMC et les subventions aux exportations agricoles

La fin programmée des subventions à l’exportation de produits agricoles


Avant chaque nouveau cycle de négociations commerciales internationales, la politique agricole commune (PAC), est accusée de nuire à l’agriculture des pays en développement (PED). La critique émane aujourd’hui d’un front disparate mêlant les PED en question, mais aussi Etats Unis, les nouveaux pays agricoles comme l’Australie et certains agriculteurs européens défendant le droit des peuples à se nourrir eux mêmes.

La principale objection porte sur les restitutions, c’est à dire les subventions aux exportations. Les aides sont calculées par différence entre le prix européen (plus élevé) et le prix mondial, créant ainsi un avantage incontestable au profit des produits européens, empêchant les nouveaux producteurs de profiter de leurs moindres coûts de production et maintenant artificiellement un niveau de prix trop bas pour permettre le décollage des agricultures des pays pauvres. L’accord de Marrakech du 15 avril 1994, clôturant le précédent cycle de négociations commerciales, imposa la réduction des montants et des quantités subventionnées (respectivement –21% et –36 %). Depuis, comment les choses ont-elles évolué ?

L’Europe peut se prévaloir de deux succès. D’une part, les engagements de Marrakech ont été tenus. Les dotations ont été diminué de façon drastique les cinq premières années, passant de 10,2 milliards d’écus en 1993 à 4,8 milliards en 1998. Depuis 2000, les dotations sont stabilisées autour de 4,3 milliards d’euros. La majorité des exportations agricoles européennes s’effectue désormais hors subventions. Au début des années 90, les céréales étaient le principal poste bénéficiaire de restitutions avec 2,8 milliards d’écus en 1993 (dont 1,1 milliard pour les céréaliers français). La baisse des prix des céréales, imposée par les réformes de 1992 et 1999, a annulé l’écart de prix avec le marché mondial et a supprimé par conséquent les subventions, ramenées autour de 100 millions en 2002 et 2003. Les restitutions bénéficient aux produits bruts mais très peu aux produits transformés (farine, vin, conserves…). L’Europe s’est donc soumise aux lois du marché.

D’autre part, la distorsion de concurrence n’est pas décisive. Les subventions européennes n’ont pas empêché l’arrivée en force de nouveaux exportateurs (Brésil, Australie, Afrique du Sud, Inde). L’Europe n’est plus qu’un acteur secondaire du commerce mondial agricole et laisse une large place aux importations en provenance des pays émergents y compris sur les marchés européens déjà excédentaires. C’est le cas du sucre. Malgré sa surproduction, l’Europe importe du sucre des PED (qu’elle est d’ailleurs obligée de réexporter avec restitutions !). Tous les producteurs ne font pas cet effort de solidarité. L’Europe est la seule région qui soit autant exportatrice qu’importatrice de produits agricoles, le Brésil est sur le point de devenir le premier fournisseur européen, devant les Etats Unis, et le déficit des échanges agricoles avec l’Amérique du Sud dépasse 15 milliards d’euros.

La position européenne reste pourtant fragile. D’une part, même limitées, les restitutions continuent de fausser la concurrence sur certains produits (viande bovine, sucre, volailles). D’autre part, les restitutions sont moins supprimées que mises en veille et peuvent réapparaître lorsque les besoins se font sentir. Ce sera le cas en 2004 car les produits qui étaient parvenus au prix mondial se trouvent pénalisés par la hausse de l’euro et l’élargissement recrée des surproductions sur certains secteurs. Pour les céréales par exemple, exportées pratiquement sans restitutions depuis deux ans, plus de 500 millions d’aides sont prévus en 2004 dont 70 pour exporter les céréales des dix nouveaux entrants. Tous produits confondus, les restitutions prévues pour 2004 marquent la première hausse depuis dix ans (4,7 milliards d’euros dont 222 millions au titre de l’élargissement).

Le dispositif reste donc soumis aux critiques et vit probablement ces derniers années. Les négociations portent sur une nouvelle réduction de 45 % en valeur et la suppression en cinq ans pour la moitié des produits.

Quelles en seront les conséquences ? Sur le plan interne, les restitutions révèlent un paradoxe européen. Depuis l’origine, les restitutions sont un moyen de gérer les surproductions et peuvent être baissées soit en diminuant les prix, soit en réduisant les volumes, notamment par les quotas, a priori parfait outil de maîtrise des productions. Or, les deux tiers des restitutions bénéficient aux produits laitiers (1,5 milliards en 2003) et au sucre (1,2 milliards), qui sont aussi les deux principaux secteurs soumis à quotas ! Sur ces deux secteurs, l’Europe disposait donc des leviers pour éviter les surproductions en diminuant les quotas mais elle ne les a pas utilisés. La réforme du secteur du lait a été reportée à 2005 et celle de l’organisation du sucre, amorcée en 2001, n’a pas abouti. Les limitations de productions seront imposées par l’extérieur.

Sur le plan externe, la diminution des restitutions ne conduira ni à une révolution des échanges ni à un sursaut des agricultures locales. La fin des restitutions n’a qu’un effet provisoire sur le marché : dans un premier temps, les productions européennes sont stockées et le prix mondial monte. Dans un deuxième temps, le prix ayant monté, les productions européennes redeviennent compétitives et sont à nouveau exportées et le prix baisse…

L’Europe dispose de peu de marges de négociation. Les oppositions portent désormais sur l’ensemble des crédits de la PAC .


Mots clés : restitutions, exportations agricoles, subventions aux exportations, OMC, PAC, budget 2004, sucre, lait, céréales
Source : Le Monde
Date : 16/09/2003

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.