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La hausse du prix du lait fragilise la réforme de la PAC

La hausse du prix du lait n’est pas seulement une mauvaise surprise pour le consommateur mais est aussi un incident de parcours de la réforme de la politique agricole commune (PAC). Jusqu’en 2004, l’organisation commune du marché du lait (OCM lait), l’une des plus emblématiques de l’Union européenne, disposait de la panoplie complète des outils communautaires, en cumulant deux moyens d’action habituels: l’intervention, c’est à dire principalement le stockage des productions à prix garantis en cas de surproduction, et les restitutions, les subventions aux exportations, et deux éléments propres à la filière : les quotas, une limite de production au delà de laquelle les producteurs payent une pénalité, et les aides à l’écoulement des produits (aides à l’utilisation du beurre dans les industries agro alimentaires ou aides à la consommation pour les personnes démunies ou dans les écoles). Au début des années 2000, l’ensemble représentait une dépense pour le budget communautaire de l’ordre de 2,6 milliards d’euros.
 
            Le système restait cependant très imparfait. Les quotas étaient normalement destinés à limiter les productions mais l’élevage laitier est une activité commune à tous les pays membres et reste liée à une paysannerie mythique. Ainsi, tous les Etats, soucieux de protéger leurs éleveurs n’ont jamais pu fixer les quotas à un niveau adéquat pour maîtriser totalement les productions. Sans atteindre les « montagnes de beurre » en stock au milieu des années 80 (jusqu’à 1,2 million de tonnes de beurre et 900.000 tonnes de poudre de lait), le secteur restait caractérisé par une surproduction chronique et des prix élevés, sans compter la condamnation des restitutions à l’organisation mondiale du commerce (OMC).
 
            En 2004, le secteur lait est rentré dans le rang et a appliqué la grande réforme de la PAC. Conformément au principe du découplage, le système de régulation du marché par une action sur l’offre et la demande a été transformé en un système d’aide aux revenus des éleveurs. La réforme implique une baisse des prix garantis et un quasi abandon du mécanisme d’intervention, une baisse des aides à l’écoulement des produits et aux exportations, mais, en contrepartie, une augmentation des quotas et une garantie de revenus par soutien direct, comme pour tous les agriculteurs. Le montant de l’aide aux producteurs de lait est de l’ordre de 4,1 milliards d’euros en 2007.
 
            Mais au moment où il rentrait dans le rang, le secteur lait sortait de la route tracée par la Commission. L’idée était de rapprocher le prix communautaire du prix mondial, surtout pour éviter les critiques dévastatrices à l’OMC. Sur ce point, la réforme est un succès. Ce qui était imprévu, c’était que le prix mondial s’envolerait. Les réformes de la PAC sont faites dans et pour un contexte de prix mondial faible, inférieur au prix communautaire. Mais le prix mondial n’a cessé d’augmenter sous l’effet de la hausse de la consommation mondiale de produits laitiers, de la hausse du prix des céréales, utilisées dans l’alimentation du bétail, et de mauvaises productions, y compris en Europe. Car les éleveurs ont toujours été réservés sur la réforme, sur la garantie de revenus (pour combien de temps ?), sur les contraintes réglementaires qui conditionnent les paiements et qui ne font que renforcer les sujétions déjà très lourdes du métier (avec deux traites par jour, tous les jours de l’année). Quelques éleveurs ont été tentés par des reconversions vers la filière viande ou les céréales. Dans l’UE, le quota autorisé n’a pas été pas atteint. En France, il faudrait 100.000 vaches de plus.
 
            Ce n’est sans doute qu’une mauvaise passe. Il n’y pas de pénurie en Europe. Mais la hausse des prix est sans doute durable car les possibilités d’augmenter les productions sont réduites et se heurtent à des contraintes environnementales. Les meilleures zones de production (Bretagne par exemple) sont déjà en saturation. En outre, il ne faut pas oublier que les vaches laitières sont régulièrement inséminées et qu’il n’y a pas de lait sans veau ! Mais l’augmentation du cheptel bovin est peu opportune dans un contexte de déclin de la consommation de viandes.
 
            La Commission suit l’évolution du marché de façon passive, et pour cause : elle ne dispose plus de moyen d’action, n’a plus aucun stock de réserve pour intervenir sur l’équilibre offre-demande et ses prix d’intervention sont totalement déconnectés du marché. L’UE est devenue compétitive mais n’a plus rien à exporter. La Commission, habituée à gérer les surproductions, est un peu prise à défaut. Au total, la réforme aura été coûteuse pour le contribuable européen et coûteuse pour le consommateur. A l’heure du « bilan de santé de la PAC », annoncé pour 2008, cette mauvaise passe montre les limites des réformes de la PAC.


Mots clés : réforme de la PAC
Source : Le Monde éco
Date : 18/09/2007

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.