FINANCES DE L'EUROPE - Tout savoir sur le budget de l'Europe

La crise du lait met l'Europe face à ses contradictions

Quand la crise du lait met l’Europe face à ses contradictions
 
Par Nicolas-Jean BREHON
enseignant à Paris I Sorbonne
www.finances-europe.com
 
C’est à n’y rien comprendre ! Les prix du lait explosent et pourtant, le éleveurs boudent, l’offre ne répond pas. Il manque 2 à 3 milliards de litres en Europe et 200.000 vaches laitières en France. L’Union européenne (UE) propose d’augmenter les quotas  (un plafond au delà duquel les éleveurs sont pénalisés par le paiement d’une taxe), rien n’y fait. Il faut recourir aux expédients en maintenant des vaches à la traite alors qu’elles auraient été déclassées en « vaches de réforme » et conduites à l’abattoir.
 
L’accusé ? L’éleveur qui fait la sourde oreille alors que la profession a été pourtant ultra aidée pendant des années, que la solidarité européenne imposerait des gestes, et que ses revenus ont progressé en 2007 bien plus que n’importe quelle autre catégorie... Mais si l’une des causes de la crise était plutôt dans la réforme de la politique agricole commune- PAC- elle même ?
 
Cette réforme, décidée en 2003, est bâtie sur un principe simple : le découplage. Il s’agit de séparer – découpler- l’aide financière du volume de production. Le droit à paiement unique est calculé sur des critères physiques indépendants de la production.
 
Quatre ans plus tard, deux inconvénients majeurs apparaissent. En premier lieu, la réforme était conçue pour casser les surproductions et faire baisser les prix dans l’UE. Or, aujourd’hui, le contexte est radicalement différent et même au strict opposé de la situation qui prévalait en 2003. La Commission ne s’est absolument pas adaptée au revirement de conjoncture et tente tant bien que mal de réajuster le système, mais sans succès. D’ailleurs, tout changement brutal dans un secteur se traduit par des déséquilibres dans les autres secteurs et il ne faut pas oublier une règle élémentaire : il n’y a pas de lait sans veau et l’augmentation des vaches laitières se traduirait par une augmentation du cheptel de viande. Après s’être sortis de la crise bovine des années 90, les éleveurs ne sont pas enthousiastes à cette perspective. 
 
En second lieu, la réforme de la PAC a entraîné un changement de philosophie même de l’aide européenne. La PAC a changé de nature : elle a perdu son côté « politique industrielle » encourageant la productivité, et elle est devenue une politique sociale, en transformant l’aide européenne en une simple aide aux revenus. Ce faisant, en perdant ce lien avec la production, la réforme de la PAC a cassé le système et la confiance. Car les agriculteurs se rendent bien compte que ce régime ne peut durer indéfiniment ! Il n’y a aucune raison que l’UE soutienne les revenus d’une catégorie sociale particulière, d’ailleurs de moins en moins importante en termes statistiques. Pourquoi soutenir les revenus des paysans et non ceux des chômeurs ? La réforme de la PAC avait en son sein même des ferments de dynamite. Dès lors, les éleveurs n’ont fait qu’anticiper ce « lachâge » et se sont détournés de la production de lait pour préférer des productions moins contraignantes. Les courbes de production sont limpides : le déclin des collectes a commencé exactement en 2004, la première année d’application de la réforme.
 
La crise du lait n’a pas été provoquée mais elle a été aggravée par la réforme de la PAC. Pourtant, le plus frappant dans cette crise est l’incapacité de l’UE à se remettre en cause. Le fameux bilan de santé de la PAC annoncé sous présidence française devrait tenir compte de cette expérience.


Mots clés : lait, prix du lait, réforme de la PAC, découplage, effet de la réforme de la PAC sur éleveurs
Source : Le Monde ( page débats) 11 janvier 2008
Date : 11/01/2008

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.