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Les coûts cachés de l'élargissement

Les coûts cachés de l’élargissement





Le coût de l’élargissement est désormais connu : les dépenses ont été arrêtées au sommet de Copenhague à 40.853 millions d’euros entre 2004 et 2006, soit un coût net de l’ordre de 28 milliards d’euros pour trois ans, déduction faites des contributions prévisibles des nouveaux Etats membres. Ainsi, la dépense tient dans le plafond fixé au Conseil européen de Berlin en décembre 1999, ce qui rassure l’Allemagne ; l’enveloppe des dépenses agricoles est anticipée jusqu’en 2013, ce qui rassure la France ; le coût est finalement assez modeste pour une responsabilité historique puisqu’il ne représente que moins de 25 euros par habitant et par an pour les citoyens des actuels Etats membres ; enfin, le prix du non élargissement aurait été bien supérieur, puisqu’il aurait fait éclater la dynamique et les compromis de la construction européenne. Selon l’expression du commissaire européen Günter Verheugen, chargé de l’élargissement, « the cost is under contrôl ».



Est –il possible de nuancer cet optimisme ?



On observera en premier lieu que la méthode qui consiste à diviser une dépense par le nombre d’Européens est assez pernicieuse. Toute somme divisée par 375 millions fait évidemment tout de suite beaucoup plus petite… 9,3 milliards d’euros par an en moyenne, c’est peu pour les Quinze, puisque c’est à peine 0,1% de produit intérieur brut. 25 euros par habitant, c’est encore moins. Mais on pourrait tout aussi bien procéder au même calcul pour les subventions agricoles, voire, pourquoi pas, pour la fraude au budget communautaire qui ne représente guère finalement que 1,6 euros par habitant… La présentation est habile, rassurante, et a priori préférable à l’évaluation globale un peu abstraite, mais ce mode de calcul est trompeur et condamne tout effort de rigueur budgétaire.



On notera en second lieu que la partie chiffrée correspond aux années les moins coûteuses de l’adhésion, dont le coût sera très progressif. L’octroi des aides directes aux revenus des agriculteurs des nouveaux membres se fera par paliers. 25 % seulement du niveau théorique en 2004, plus 5% pendant quatre ans puis plus 10% par an jusqu’à 2013. Les aides structurelles seront elles aussi très évolutives. La somme accordée aux dix nouveaux membres, soit 21,7 milliards d’euros pour les trois premières années de l’adhésion, est une sorte d’enveloppe d’apprentissage. Deux programmations (1998/1992 et 1993/1999) ont été nécessaires pour que les régions des actuels Etats membres soient bien rôdées aux fonds structurels et aux contraintes d’organisation qu’ils entraînent. Un décalage similaire est à attendre chez les nouveaux entrants mais les demandes augmenteront, une fois cette adaptation maîtrisée.



En troisième lieu, on peut s’attendre à de sérieuses difficultés dans l’élaboration des futures perspectives financières qui doivent couvrir la période entre 2007 et probablement 2013. (l’échéance n’est pas encore fixée), notamment sur l’enveloppe consacrée aux actions structurelles, qui sera le principal point d’achoppement des négociations. Le premier objectif, le plus doté financièrement et qui assure les meilleurs taux de cofinancement, est réservé aux régions en retard de développement, évalué par un PIB inférieur à 75 % de la moyenne communautaire. En faisant baisser cette moyenne de 13 %, les nouvelles adhésions créent un effet d’éviction au détriment de régions aujourd’hui éligibles. C’est le cas de nombreuses régions d’Italie, de Grèce et d’Espagne, qui bien qu’elles ne soient pas devenues plus riches, risquent de ne plus bénéficier des fonds structurels du seul fait de l’élargissement. Ces Etats n’accepteront pas la sortie de l’objectif sans compensations. La pérennité du deuxième objectif, destiné aux régions en difficultés structurelles et dont la France est le principal bénéficiaire, est plus compromise encore.



L’une des options possibles consiste à opérer un basculement des fonds structurels accordés principalement aux régions, au profit des aides du fonds de cohésion, accordés aux Etats pour de gros projets et beaucoup plus souples à mettre en œuvre. Dans ce cas, la plupart des régions françaises cesseraient d’être éligibles aux fonds structurels (à l’exception des départements d’outrer mer).



Ces difficultés sont prévisibles depuis le Conseil européen de Nice en décembre 2000. A la demande de l’Espagne, principal bénéficiaire des aides structurels, qui fit alors preuve d’un remarquable sens tactique, l’enveloppe des fonds structurels sera encore déterminée en 2005 à l’unanimité. C’est à dire à 25. La disposition passa inaperçue, comme toutes les dispositions dont l’application est retardée, mais est fondamentale pour les finances communautaires.



Dernière difficulté prévisible : quelle que soit l’enveloppe qui leur sera attribuée, les nouveaux entrants risquent fort de la trouver trop faible pour combler leurs attentes. L’ambition implicite de l’adhésion est de gagner en niveau de vie. Pour les pays les moins riches des trois premières vagues d’adhésion (1973, 1981 et 1986), la durée du rattrapage du niveau de vie moyen de l’Union a été estimée à 25 ans. Pour les nouveaux membres, atteindre cet objectif suppose un taux de croissance annuel moyen de 8 à 10 % par an. Pendant 25 ans. Le pari, cette fois, paraît plus difficile à gagner.


Mots clés : élargissement, coût, Copenhague, dépenses agricoles, fonds structurels, prévisions, perspectives financières, niveau de vie
Source : Le Monde
Date : 21/01/2003

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.