FINANCES DE L'EUROPE - Tout savoir sur le budget de l'Europe

Combien coûterait l'adhésion de la Turquie au budget communautaire ?

Combien coûterait l’adhésion de la Turquie au budget communautaire ?

La question sur l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne (UE) est évidemment avant tout de nature politique : quel périmètre pour la nouvelle Union (la Turquie ouvrant la voie à d’autres d’adhésions orientales et méditerranéennes) ? Quelle physionomie (dans une Europe d’héritage chrétien qui connaît l’effondrement de la natalité, la Turquie serait l’Etat le plus peuplé d‘Europe, à majorité musulmane) ? Quelles finalités pour l’UE (avec un choix à faire entre la géopolitique ou l’émergence d’un modèle social européen) ? Quelles institutions (aux termes des règles actuelles de fonctionnement et du projet de constitution, la Turquie serait l’Etat le plus représenté au Parlement européen et au Conseil) ? Dans ce débat, les aspects budgétaires sont évidemment secondaires. Est-ce une raison pour les occulter totalement comme c’est le cas aujourd’hui. On s’étonnera en effet qu’en France, aucun rapport ne mentionne les aspects financiers de l’adhésion. Ce n’est pas un hasard si les seules études sur ce sujet émanent d’universitaires Allemands. L’Allemagne est en effet la plus directement motivée par l’adhésion de la Turquie mais aussi la plus directement menacée par son coût, l’Allemagne étant encore aujourd’hui le premier financeur du budget communautaire (23 % des 100 milliards d’euros actuels).

Ce volet, soigneusement occulté, peut être pourtant évalué de façon assez précise à partir de deux données simples : la Turquie est un pays très pauvre (son niveau de vie par habitant ne représente aujourd’hui que le quart de la moyenne européenne actuelle) et un pays agricole, deux caractéristiques voisines de celles de la Pologne et déterminantes pour les dépenses communautaires.

Comme tous les pays pauvres, la Turquie aurait vocation à bénéficier des crédits de cohésion, expression de la solidarité entre les Etats membres. Ces crédits de cohésion sont aujourd’hui plafonnés à 4% du PNB de l’Etat, soit de l’ordre de 7,6 milliards d’euros. La Turquie deviendrait alors le premier bénéficiaire des fonds de cohésion européens. Les dépenses agricoles peuvent être évaluées entre 3 et 6,5 milliards, une très large fourchette qui s’explique par les très grandes incertitudes sur ce poste compte tenu des spécificités de l’agriculture turque. Le chiffre de 6,5 milliards qui résulte d’une évaluation des universitaires allemands, placerait la Turquie au deuxième rang des bénéficaires de ce qui resterait de la politique agricole commune, derrière la France. En ajoutant les crédits de quelques autres politiques, on arrive donc à un coût total de l’ordre de 12-13 milliards d’euros soit un niveau comparable aux dépenses communautaires reçues par l’Espagne, la France ou l’ Allemagne en 2013.

Le coût net, déduction faite des contributions turques au budget communautaire, serait de l’ordre de 10-11 milliards d’euros par an, soit un coût identique aux dépenses d’adhésion des dix nouveaux membres entre 2004 et 2006 (une somme qui ne représente cependant qu’ un an de déficit d’assurance maladie en France…). Compte tenu de la différence entre les contributions versées au budget et les dépenses communautaires, la Turquie serait le tout premier bénéficiaire en termes de taux de retours (avec un taux de 5 ou 6 : pour un euro versé, la Turquie recevrait 5 ou 6 euros du budget communautaire).

Des dépenses qui surviendraient après les chocs budgétaires des élargissements de 2004 et de 2007. Ainsi, coup sur coup, coût sur coût, l’Europe s’engagerait dans des dépenses très importantes. Elles ne pourraient être financées sans changements profonds de toutes les politiques communautaires et aucun Etat ne s’en sortirait indemne. Les fonds structurels de la Grèce et l’Espagne, la correction britannique, la contribution allemande, la position française qui assurerait 20 % du coût total, soit 2 milliards par an… tout serait radicalement transformé.

Le mouvement est lancé avec tant de force et tant d’attentes, au moins en Turquie, que faire marche arrière sera difficile. Selon un universitaire allemand, « l’adhésion de la Turquie créerait un problème énorme voire insurmontable au système financier européen » . On peut sans risque avancer l’idée que la non adhésion créerait elle aussi des problèmes équivalents - énormes voire insurmontables - à la construction européenne dans son ensemble.

L’Europe a toujours progressé par crises. Nul doute qu’à cette occasion, elle sera servie, encore plus que de coutume.


Mots clés : Turquie, élargissement, adhésion, coût, budget, budget communautaire, dépense.
Source : non publié
Date : 20/04/04

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.