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Le coût de l'adhésion de la Turquie à l'UE

Le coût de l’adhésion de la Turquie ?

Les aspects budgétaires, même s’ils sont secondaires par rapport au choix politique, seront un élément crucial de la négociation d’une éventuelle adhésion de la Turquie à l’Union européenne (UE) en 2015. Combien coûterait l’adhésion de la Turquie au budget communautaire?

La Commission et les Etats les plus contributeurs au budget ont évalué ce coût en faisant l’hypothèse que les dispositions adoptées pour les nouveaux membres de 2004 et les prochains adhérents de 2006 seront appliquées à la Turquie. Ainsi, le premier poste budgétaire sera lié aux dépenses dites de cohésion, dont l’essentiel est réservé aux régions pauvres de l’UE. Avec un revenu moyen par habitant de l’ordre de 28 % de la moyenne communautaire actuelle, la Turquie aurait vocation a bénéficier pleinement de cette politique de solidarité, financée par les fonds structurels européens. La Commission les évalue à 22,4 milliards d’euros par an (au prix 2004), soit une somme comparable à l’enveloppe annuelle moyenne consacrés aux dix nouveaux adhérents à partir de 2007. La Turquie bénéficierait aussi des crédits agricoles qui représentent environ 25 % des dépenses européennes dans les nouveaux Etats membres. L’adhésion de la Roumanie, à l’agriculture comparable, et les réformes agricoles qui remplacent les soutiens aux productions par des aides au revenu réduisent l’incertitude sur l’évaluation du coût. La dépense est estimé à 8,2 milliards d’euros soit autant que ce que percevra la France en 2013. Les dépenses internes, concentrées notamment sur les programmes de protection des frontières sont estimées à 2,6 milliards d’euros.

Le coût brut total, qui représente le montant des engagements de dépenses, est donc de l’ordre de 33 milliards d’euros sur un budget total dont le montant, encore en débat, pourrait atteindre 140 ou 150 milliards d’euros. L’estimation du coût net est plus difficile car il faut prendre en compte le montant des décaissements effectifs et le montant des contributions au budget communautaire, elles mêmes liées à l’évolution du PNB turc, sur laquelle il y a beaucoup d’incertitude. Néanmoins, l’estimation du coût net est entre 25 et 28 milliards d’euros par an.

Cette somme est voisine du coût annuel du dernier élargissement de 2004. Le chiffrage officiel du Conseil européen de Copenhague en décembre 2002 est certes très inférieur, de l’ordre de 4 à 5 milliards par an, soit 15 euros par habitant, mais cette évaluation ne concernait que les trois premières années de l’adhésion, et tous les experts savent que le coût réel en année pleine sera quatre ou cinq fois supérieur. Un rapport de l’Institut français des relations internationales évalue ce coût à 29 milliards par an, soit 75 euros par habitant des anciens Etats membres. Ainsi, on peut considérer que l’adhésion turque représente un coût comparable à celui de l’adhésion des dix nouveaux Etats membres en 2004.

Les effets indirects d’une adhésion de la Turquie sont également très importants. Le principal est lié au poids démographique du pays, le seul qui conserve une forte croissance de sa population, de telle sorte que la Turquie qui compte 70 millions d’habitants aujourd’hui, sera dès 2020 le pays le plus peuplé d’Europe autour de 90 millions d’habitants tandis que la plupart des pays de l’UE auront amorcé leur déclin démographique.

Ce facteur affecterait tout d’abord l’autorité budgétaire, constituée du Parlement européen (PE)et du Conseil. Traité après traité, le pouvoir au sein de ces deux institutions repose un peu plus sur le facteur démographique. Plus un pays est peuplé et plus son poids au Conseil et au PE est important. La Turquie deviendrait donc le pays le plus puissant au sein des deux institutions de décision de l’UE, avec un poids supérieur de 30 % à celui de la France par exemple. Le facteur démographique et la pauvreté du pays modifierait aussi la politique de cohésion. Comme ce fut le cas en 2004, l’adhésion de la Turquie aurait pour effet de diminuer le PIB communautaire moyen par habitant. La baisse, estimée à 9 %, ferait suite à une première baisse de 12% intervenue en 2004. Dès lors que les fonds structurels sont réservés en priorité aux régions pauvres (définies par un PIB par habitant inférieur à 75 % de la moyenne communautaire), certaines régions éligibles aujourd’hui aux crédits européens cesseraient de l’être après l’élargissement. Le même phénomène, connu sous le nom d’effet statistique s’est produit en 2004 et le montant des crédits accordés en compensation aux régions ainsi évincées reste en discussion.

Cette perspective turque pèse sur l’actuelle négociation du futur cadre financier pluriannuel. qui couvre la période 2007/2013 car il est vraisemblable que les dispositions qui seront adoptées à cette occasion serviront de précédent pour la Turquie. Les principaux contributeurs au budget sont donc vigilants à ne pas être trop généreux aujourd’hui, pour ne pas avoir à payer le double dans dix ans. Dans l’hypothèse d’une adhésion, il est clair que ces pays n’accepteront pas de maintenir le même niveau d’aides aux anciens bénéficiaires de la politique de cohésion, et que l’Espagne, la Grèce, l’Italie, tous trois partisans de l’adhésion turque, doivent se préparer à renoncer à la plus grande part de leurs 200 milliards de fonds structurels qu’ils ont reçu depuis dix ans. La négociation promet d’être animée.


Mots clés : Turquie, élargissement, adhésion, coût brut, coût net, dépenses, perspectives financières
Source : Le Monde
Date : 07/02/2005

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.