FINANCES DE L'EUROPE - Tout savoir sur le budget de l'Europe

La réforme du financement de l'UE

 

VERS UN NOUVEAU FINANCEMENT DE
DE L’UNION EUROPEENNE
 Cet article est un résumé d’une note publiée le 29 octobre par la fondation Robert Schuman (Question d’Europe n° 257)
 
 
Le système actuel de financement du budget de l’Union européenne est décrié depuis 20 ans. En juin 2011, la Commission a présenté ses propositions de réforme des ressources propres de l’Union européenne (UE). Une proposition législative, qui, à bien des égards, parait raisonnable. Il y a cependant une marge entre une bonne idée et son application. Car, dans ce domaine, la Commission propose et le Conseil dispose (décide). Ou pas. Ou plutôt, pas encore. Mais, même si les progrès seront vraisemblablement bien inférieurs à ce qui était espéré, une brèche dans le dispositif de financement de l’Union sera ouverte. Le pas sera plus politique que budgétaire. Il n’en sera que plus important.
 
I – Le contexte de la réforme
Le budget de l’Union (129 milliards d’euros en crédits de paiements dans le budget 2012) est financé par des « ressources propres ». Une notion singulière qui, dès le traité de Rome, visait à rendre le financement du budget indépendant des Etats membres. Cependant, le système mis en place a éloigné l’illusion d’un financement autonome. Des trois ressources actuelles, seuls les droits de douane sont un véritable impôt communautaire (14% du budget), tandis que les recettes TVA et RNB, qui représentent 84 % du financement, sont simplement prélevées sur les recettes fiscales des Etats membres, après des détours de calculs plus ou moins complexes. De l’ambition politique initiale, il ne reste presque rien, puisque rien, en effet, ne différencie le financement actuel d’un système de simples contributions nationales.
Plusieurs critiques ont été portées à l’encontre de ce mode de financement. Il est opaque et irresponsable. Les bénéficiaires des crédits européens sont d’autant plus tentés d’en demander davantage qu’ils en ignorent le financement. En outre, en vertu de la règle de l’équilibre automatique qui garantit le financement du budget, les recettes s’ajustent aux dépenses votées par l’autorité budgétaire (Parlement européen -PE- et Conseil). Ainsi, toute réforme du financement n’est pas liée stricto sensu à un manque d’argent. Dès lors que le niveau de dépenses est décidé, l’autorité budgétaire n’a pas à chercher des recettes, elle les a.
Ces critiques sont anciennes. Rien n’aurait changé sans l’arrivée de plusieurs facteurs.
 Sur le plan institutionnel, le traité de fonctionnement sur l’Union européenne prévoit qu’il « est possible… d’établir de nouvelles catégories de ressources propres». Cette création n’était pas formellement exclue dans l’ancienne rédaction, elle est désormais explicitement prévue. L’article prévoit aussi une articulation entre la décision des ressources propres, qui relève du Conseil, à l’unanimité, après consultation du PE, et les règlements d’exécution, décidés par le Conseil à la majorité qualifiée après approbation du PE.
La Commission respecte aussi une demande du Conseil européen en décembre 2005, lors de la conclusion du cadre financier pluriannuel (CFP) 2007-2013 qui l’avait « invitée à entreprendre un réexamen complet et global (...) des ressources (...). Ce réexamen sera pris en considération dans le cadre des travaux préparatoires sur les prochaines perspectives financières ».
 La conjoncture est évidemment marquée par la crise économique et financière. L’ambiance générale est à la maîtrise de la dépense publique, quelle qu’elle soit. Un budget, fut il européen et modeste (autour de 1% du revenu national brut –RNB- de l’UE), est donc appréhendé avec circonspection. L’effet réflexe est de refuser d’affecter à l’UE toute nouvelle ressource. Cette exigence est encore plus forte chez les principaux contributeurs dès lors que l’essentiel du financement du budget provient de ressources prélevées sur les recettes fiscales nationales. Tout prélèvement supplémentaire au profit de l’UE creuse le solde budgétaire ou doit être compensée par une baisse des autres dépenses nationales.
A l’opposé, l’effet d’appel est celui du soutien à la croissance. Avec un endettement public quasi général, aucun Etat ne semble en capacité d’opter, de façon isolée, pour une politique de relance budgétaire. Cette paralysie est, d’une certaine façon, une chance pour l’Union. L’Union ne peut afficher une « stratégie européenne à l’horizon 2020 » sans un minimum de moyens budgétaires. La relance sera européenne ou ne sera pas. Le budget est d’ailleurs loin d’atteindre la limite maximum (1,23 % du RNB) que les Etats ont eux-mêmes fixé en 1992 et il existe donc des marges de progression. En revanche, l’argument que le budget de l’UE est d’autant plus capable d’assumer cette augmentation qu’il n’a jamais été en déficit, contrairement aux budgets nationaux, est irrecevable puisque, avec son mode de financement, le non déficit européen est simplement reporté sur celui des Etats membres ! 
Cette contradiction entre le frein sur la dépense et l’appel à la relance est à son comble lorsqu’il s’agit des ressources propres. Il n’y a aucune issue dans le système actuel. Puisque les États, budgétairement exsangues, ne sont pas prêts à augmenter leur participation au budget européen, il faut envisager la création d’une nouvelle ressource propre. Les Etats ne peuvent refuser de donner plus, et dans le même temps refuser à l’Union de trouver d’autres moyens de se financer.
Dernier élément de contexte politique, la codécision –PE/Conseil-, quasi généralisée depuis le traité de Lisbonne, ne s’applique pas dans le cas des décisions sur les ressources propres (DRP) qui relèvent totalement des Etats. Le PE, qui n’a qu’un rôle consultatif, ne s’est jamais satisfait d’une telle disposition et a fait des ressources propres un de ses principaux combats politiques. Le pas décisif est intervenu en 2010, lors de la négociation du budget de l’UE pour 2011. Le PE a accepté de voter le budget au niveau demandé par le Conseil à la condition que ce dernier s’engage à débattre de la réforme du financement de l’Union lors de la préparation du CFP 2014–2020.
 
 
 II – Proposition de la Commission
 
1) Le dispositif proposé
Les 29 juin et 9 novembre 2011, la Commission a présenté sa proposition de réforme avec quatre initiatives.
- La simplification de la ressource TVA. La ressource actuelle résulte d’un mécanisme très complexe qui applique un taux sur une assiette reconstituée fondée sur un agrégat qui combine le produit total de TVA perçu par les Etats membres divisé par le taux moyen pondéré des taux de TVA appliqués dans l’Etat considéré avant diverses corrections... La Commission proposait d’appliquer un taux –entre 1 et 2%- sur le seul produit du taux normal de TVA.
– La création d’une taxe de transactions financières (TTF). La TTF concernerait les échanges d’actions et d’obligations sur le marché secondaire ainsi que les produits dérivés. 85 % des transactions seraient taxées. Le taux proposé est de 0,1 % sur les actions et obligations et de 0,01 % sur les autres transactions financières, les Etats gardant la possibilité de fixer des taux plus élevés. Dans la proposition de règlement d’exécution de la Commission, deux tiers du produit de cette taxe seraient affectés au budget européen.
– La réduction du droit de perception des ressources propres traditionnelles. L’Union rétrocède aux Etats membres une partie du produit des droits de douane au titre des frais de prélèvement. Cette part, fixée à 10 % à l’origine, a été relevée à 25 % en 2000, afin de réduire la contribution nette des certains Etats contributeurs/importateurs (Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas…). La Commission propose de revenir au taux antérieur de 10 %.
– La simplification des mécanismes de correction budgétaire. Le dispositif actuel des rabais, fondé sur un calcul des soldes nets, serait remplacé par un système de corrections forfaitaires préfixées pour les principaux Etats contributeurs nets qui bénéficient actuellement d’une forme de rabais (Royaume-Uni, Allemagne, Pays‑Bas, Suède).
 
2. Une réelle ambition politique et financière
La Commission propose une réforme qui, sans être une refonte du système, entraîne des changements significatifs.
Sur le plan politique, la Commission fait passer ce sujet du champ du débat académique ritualisé à une proposition législative formelle et complète. Le pas politique le plus important concerne la proposition de TTF, qui constitue une réelle novation fiscale, en taxant les échanges financiers et en présentant la réforme comme un juste retour de l’effort des Etats en faveur du secteur financier ces dernières années.
Sur le plan financier, la Commission perpétue le mythe fondateur des ressources propres, mais la structure du financement serait modifiée. La contribution nationale passerait de 85 à 40 %. Le nouveau dispositif marquerait un pas vers l’autonomie financière au fondement de la logique des ressources propres.
La Commission évite également trois écueils. Elle a la sagesse de ne pas remettre en cause le principe ou le niveau du plafond des ressources propres, fixé depuis 1992 à 1,23 % du RNB. Créer des ressources propres n’est pas pour s’affranchir des contraintes budgétaires fixées par les Etats. D’ailleurs, le passage de 1% - niveau actuel- à 1,23 % du RNB représenterait un supplément de 27 milliards par an, ce qui laisse une bonne marge de progression sans qu’il soit besoin de renégocier ce plafond.
Cette proposition sort aussi du débat rituel sur les contributions nettes. D’ailleurs, dans le contexte actuel, la quasi-totalité des Etats sont surtout vigilants à leur contribution brute qui impose un prélèvement sur les recettes fiscales nationales, plutôt que sur leur contribution nette. 
Enfin, la Commission évite d’aborder la question de l’impôt européen. Cette proposition n’aurait pas eu la moindre chance d’aboutir. Elle est exclue sur un plan juridique ; un impôt européen ne peut être envisagé qu’après une modification des traités confiant le pouvoir fiscal au Parlement européen, ce qui compliquerait beaucoup le débat. Elle est politiquement et médiatiquement exclue ; en combinant le mot « impôt » et le mot « européen », elle est d’emblée vouée à l’échec. La Commission lui préfère la notion classique de ressources propres qui repose seulement sur une décision des Etats, à l’unanimité, approuvée par les parlements nationaux.
 
 
III –Perspectives
La négociation budgétaire est concentrée sur les dépenses, leur montant total et leur répartition. La réforme du financement est une priorité secondaire. D’autant plus que , les oppositions se sont multipliées.
Outre l’importance excessive des mesures d’exécution, envisagées avec beaucoup d’appréhension par les Etats membres, trois des quatre propositions ont très peu de chances d’aboutir. Concernant les droits de perception, l’opposition est venue tout naturellement des pays importateurs qui ont une perception importante de droits de douane. (Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Belgique). Concernant la TVA, les réticences techniques sont nombreuses, en particulier des deux premiers Etats contributeurs, l’Allemagne et la France. Le dernier volet sur les corrections forfaitaires et non réévaluées avec l’inflation n’a même pas été débattu.
En revanche, l’idée de taxe sur les transactions financières (TTF) s’est progressivement imposée. Certes, quelques Etats sont opposés soit au projet lui-même (Royaume Uni, Luxembourg), soit au fléchage du produit sur le budget européen (Suède, Pays-Bas, Hongrie, Lettonie). Mais il existe une minorité d’Etats en faveur de l’application de cette taxe. L’Allemagne et la France ont eu un rôle pilote dans ce domaine. Le 22 juin 2012, la présidence danoise a constaté qu’aucun accord ne pouvait être trouvé à l’unanimité mais qu’un nombre significatif de pays – entre 9 et 12- étaient prêts à former une avant-garde. Le 9 octobre 2012, 11 Etats de la zone euro ont décidé de s’engager dans cette voie par le biais d’une coopération renforcée.
La nouvelle ressource ainsi décidée par quelques membres peut-elle être qualifiée de ressource propre pour l’ensemble de l’Union ? Le débat est plus théorique que pratique. Tout dépendra du degré de précision de la décision adoptée. Soit la proposition fixe explicitement la part de la taxe qui revient au budget de l’UE, auquel cas, la TFF sera bien, pour partie, une ressource de l’Union, soit cette part reste à l’initiative de chaque Etat et cette nouvelle ressource ne pourra raisonnablement être qualifiée de ressource propre. La part qui reviendra au budget européen relèvera plutôt de la « cuisine » budgétaire. On est loin de l’ambition initiale de la Commission. Sur le plan pratique, ce débat n’a cependant que peu d’effet. Selon le principe général de l’universalité budgétaire et de la non affectation d’une recette particulière à une dépense dédiée, le produit de la TFF alimentera le budget de l’UE au même titre que toute autre recette fiscale. Il n’y a donc pas de révolution budgétaire à attendre.
Cette étape sera en revanche politiquement déterminante. Ce serait la troisième application de ce mode de décision (après les divorces transfrontaliers et les brevets européens). Une coopération renforcée dans le domaine fiscal ouvre beaucoup de perspectives, qu’il s‘agisse de fiscalité (une assiette commune pour l’impôt sur les sociétés par exemple) ou de budget. La proposition d’un budget spécifique à la zone euro, formulée le 12 octobre par le président du Conseil de l’UE serait évidemment un pas considérable dans l’intégration européenne et le fédéralisme budgétaire.
 
C les limites de fond
           Malgré la solution qui se profile, les questions de fond touchant au financement du budget restent entières. La proposition de la Commission manque singulièrement d’ambition.
Elle ne règle pas la simplicité du financement.
Elle ne règle pas le lien avec les citoyens européens. Ils ignorent aujourd’hui le financement du budget, ils l’ignoreront toujours demain.
La marche vers l’autonomie financière est incomplète. La ressource PNB restera déterminante, ce qui signifie que la contribution nationale restera la ressource cruciale pour financer le budget. Il n’y a aucun progrès dans la responsabilité budgétaire : le Parlement européen restera encore codécideur des dépenses mais à l’écart des recettes.
Il ne peut y avoir de réforme sur le financement sans réflexion sur le contenu des dépenses lui-même. Pourquoi chercher de nouvelles ressources ? Pour financer l’agriculture et les régions? De nouveaux prélèvements sont ils justifiés s’il s’agit de financer ces politiques ? La seule définition d’une autonomie financière est insuffisante. La réforme du financement doit chercher avant tout une vision politique beaucoup plus que la simple autonomie financière qui relève de la technique. Les nouvelles ressources proposées ne font pas le lien avec de nouvelles politiques de l’Union. Une nouvelle ressource ne pourra être acceptée que si elle correspond à une dépense légitime et légitimée aux yeux de l’opinion. Ce n’est pas le cas de la proposition actuelle. Une nouvelle ressource liée à l’environnement combinant une fiscalité et une action aurait été plus légitime et plus ambitieuse qu’une simple modification de l’autonomie financière. Ce sera peut-être pour une prochaine fois.
 
La réforme d’envergure ne se fera pas, mais la perspective d’une coopération renforcée dans le domaine fiscal est une avancée considérable. Le Parlement européen a fait de la réforme du financement des ressources propres une condition explicite de son accord à la négociation budgétaire. La contradiction entre ces deux données pourrait être levée par un engagement solennel du Conseil à une réforme des ressources propres... ultérieurement.
 
 


Mots clés : ressources propres taxe sur les transactions financières, coopéartion renforcée
Source : Question d'Europe Fondation Schuman octobre 2012
Date : 22/11/2012

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.