FINANCES DE L'EUROPE - Tout savoir sur le budget de l'Europe

L'impôt européen

Après la monnaie unique, l’impôt européen ?



L’idée d’un impôt européen est ancienne. Elle est périodiquement relancée par le Parlement européen (PE), par la Commission, et même par les ministres des Etats membres. Après M. Pierre Bérégovoy, en 1992, les ministres des finances belge et allemand, l’an passé, ont eux aussi évoqué cette piste. Une convergence apparente mais semble-t-il assez vaine puisque si l’idée est récurrente, elle est toujours restée sans suite. Mais c’était avant l’euro. La monnaie unique donne un formidable coup d’accélérateur à l’intégration européenne, et nul doute que cette question sera à nouveau et peut être cette fois sérieusement débattue dans le cadre de la convention sur l’avenir de l’Europe.

- l’argument financier?

L’impôt européen aurait pour but de financer le budget communautaire (100 milliards d’euros), en complément ou en remplacement des actuelles « ressources propres » selon la terminologie communautaire, constituées par les droits de douane, une recette TVA et une ressource assise sur le PNB. En réalité, les mécanismes de calcul sont tels que ces ressources, censées garantir l’autonomie financière de l’Union, n’ont de « propres » que le nom. Seuls les droits de douane sont un véritable impôt communautaire mais ils ne représentent que 15% du financement total. Les autres ne sont que des cotisations payées par les Etats membres, prélevées sur leurs recettes fiscales, comme pour le financement de n’importe quelle organisation internationale.

Pourquoi un impôt européen ? La création d’un impôt obéit à deux logiques, financière (le plus souvent) ou politique. L’argument financier est ici, largement inopérant. Contrairement à une idée répandue, l’Europe n’a pas besoin de nouvelles recettes budgétaires. Elle les a, et même les meilleures qui soient puisque la ressource PNB est calculée de telle sorte que le budget soit toujours équilibré. Un privilège quasiment unique au monde qui permet de réduire régulièrement l’importance des autres ressources. Ainsi, la recette est garantie et s’ajuste automatiquement aux dépenses dans la limite d’un plafond, fixé à 1,27 %. du PNB communautaire.

Or, aujourd’hui, le budget communautaire est très loin de ce plafond. Les 100 milliards d’euros du budget ne représentent que 1,06% du PNB communautaire, ce qui laisse une marge de progression de 19,8 milliards d’euros (130 milliards de francs). L’ Europe ne manque pas donc d’argent. D’ailleurs, une partie des dépenses programmées n’est pas consommée. Tant que le coût de l’élargissement n’est pas sérieusement évalué, rien n’oblige l’Union à relever ce plafond, et dans le cas contraire, rien ne l’oblige à changer de mode de financement.

- L’argument politique et la réticence des parlements nationaux à l’impôt européen

La justification d’un éventuel impôt européen est clairement politique. Avec deux arguments distincts. L’un, officiel, renvoie à l’idée de citoyenneté européenne. L’impôt européen serait la conséquence logique du mouvement d’intégration dont la monnaie unique est le parfait symbole. Il remplacerait un système totalement opaque et permettrait de créer un nouveau lien entre l’Union et les citoyens européens. Ces derniers ne sont d’ailleurs pas opposés à l’idée, même si au Royaume uni, les partisans de l’Union sont aussi très hostiles à l’impôt européen, jugé particulièrement inopportun au moment où le pays hésite à rejoindre l’euroland…

Mais il existe aussi un argument officieux, plus délicat : l’impôt européen serait une manifestation d’autonomie et même d’affranchissement. Pour qui ? Il va de soi que l’impôt européen serait voté par le PE. Mais pourquoi et vis a vis de qui? Pour Michel Charasse, la réponse est claire « si le PE veut voter l’impôt, c’est pour augmenter les dépenses ». En application des traités, la nature des ressources et le plafond autorisé sont aujourd’hui déterminés par une décision du Conseil, ratifiée par les Etats membres. En d’autres termes, le verrou est double : il faut l’unanimité du Conseil et l’autorisation des parlements nationaux. Dès lors que le PE prendrait la responsabilité politique de voter l’impôt, il va de soi que les contraintes fixées par les autres deviennent insupportables et ne tiennent plus. A moins d’inventer un nouveau « parlementarisme européen rationalisé ».

Ainsi, derrière l’impôt européen, se cache l’enjeu du partage des pouvoirs entre le PE et les parlements nationaux. Le dossier est particulièrement sensible. L’idée même d’un pouvoir fiscal au PE fait bondir plus d’un parlementaire français. Le gouvernement n’est guère plus enthousiaste puisqu’à fiscalité constante, tout impôt européen signifie ipso facto diminution des ressources nationales. Pourtant, même si les parlementaires nationaux refusent de l’admettre, il est clair que le balancier n’est pas en leur faveur. Avec la monnaie unique, les Etats ont concédé un transfert de souveraineté bien plus important que celui qui résulterait d’un éventuel impôt européen.

L’un des rares à avoir une position plus ouverte et une vision stratégique est le sénateur Denis Badré. Pour ce dernier, « le système actuel est confus mais acceptable car les Etats, au sein du Conseil, restent maîtres des compétences. L’impôt européen ne s’imposera que le jour où il y aura transfert de compétences des Etats vers une autorité unique de l’Union. Quelles compétences ? La défense. » C’est sans doute mettre la barre un peu haut. Mais qui sait ? Dans 20 ou 30 ans…


Mots clés : impôt européen, citoyen européen, budget communautaire, financement, contribution nationale, parlement européen, parlement français, fédéralisme, pouvoir fiscal
Source : Le Monde
Date : 26/02/2002

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.