FINANCES DE L'EUROPE - Tout savoir sur le budget de l'Europe

La fin de la correction britannique ?

La fin de l’exception britannique ? Pas sûr



La bataille budgétaire européenne est engagée et les Anglais sont les premiers visés. Ils ont l’habitude. Cela fait trente ans – en fait depuis l’adhésion du Royaume uni- que la contribution britannique au budget communautaire empoisonne la vie de la Communauté européenne. Tout part d’un calcul élémentaire : la participation des Britanniques au budget communautaire est trop importante compte tenu des dépenses qu’ils reçoivent en retour. Le Royaume Uni ne bénéficie en effet que peu de dépenses agricoles et peu d’aides régionales qui sont les principaux postes du budget communautaire. Le déséquilibre qu’on appelle aussi « le solde net », est excessif, très supérieur à celui des autres Etats, et appelle une correction. Cette correction existe depuis 1984, lorsque las des querelles incessantes, le Conseil européen décida à Fontainebleau, sous présidence française, d’instaurer un mécanisme de correction sous la forme d’un rabais de la contribution britannique au budget. Ainsi, tandis que pour les autres Etats, la part dans le financement du budget est très voisine de leur part dans le PNB total de l’UE, grâce au rabais dont il bénéficie, le Royaume Uni ne participe qu’à hauteur de 13 % au financement de l’Union alors que son PNB représente 18 % de l’UE à Quinze. L’écart (environ 5 Mds € par an en moyenne depuis trois ans), est financé par les autres Etats membres.

Malgré les critiques rituelles sur l’entorse à l’esprit de solidarité entre les Etats membres, le système a fonctionné pendant vingt ans. Tout d’abord parce qu’il est honnête d’ajouter que le Royaume Uni, malgré ce rabais, reste un des principaux contributeurs net au budget communautaire. Ensuite parce que plusieurs autres pays ont bénéficié à leur tour de dérogations qui les exemptent très largement de participer au financement de la correction britannique. Enfin, parce que ce dernier repose désormais essentiellement sur la France (30 % de la correction) ce qui ne gêne nullement nos partenaires, dans la mesure où tous trouvent que notre situation, encore assez équilibrée grâce aux retours agricoles, est une « anomalie budgétaire ».

Alors, pourquoi changer ? Parce que avec le temps et l’élargissement, le système est devenu injustifiable. En vingt ans, le Royaume a changé de position au sein de l’Union européenne. En 1973, le niveau de vie britannique était de près de 30 % inférieur à celui de la moyenne de la Communauté ; en 1984, il était encore de 10 % inférieur; il a rejoint la moyenne au début des années 90, puis l’a dépassé : en 2003, il est de 10 % supérieur, et depuis l’élargissement, qui abaisse la moyenne communautaire, il est de 19 % supérieur ! La situation qui justifiait la correction n’existe plus. Pire, le système est totalement inique. La correction est financée par les autres Etats membres. Y compris par les plus pauvres. Ce que les Anglais donnent aux nouveaux adhérents d’une main, ils le récupèrent de l’autre. L’un des pays les plus riches de l’UE se fait financer sa contribution au budget communautaire par les plus pauvres. Certes, la participation est modeste (282 millions d’euros à la charge des Dix en 2004, soit 3 euros par Polonais par exemple), mais la situation est indéfendable.


Sur ce dossier, les Anglais avaient l’habitude de contre attaquer et d’accuser la France : le déficit vis a vis du budget communautaire vient de la politique agricole commune, qui bénéficie aux Français. Cela fut vrai, mais ce ne l’est plus. La plus grande part du déficit britannique ne vient plus des dépenses agricoles mais des dépenses régionales. Cette situation ne peut que s’aggraver avec les dépenses liées à l’élargissement (autour de 44 Mds € dont 29 Mds € de dépenses régionales en 2013). En outre, la France est désormais et de loin, le premier financeur du rabais britannique : 1,5 Mds € par an, soit 25 euros par habitant. La France prend donc sa part de solidarité. Selon une étude de la direction du budget, à partir de 2008, la contribution de la France au rabais britannique sera même supérieure au solde net de la France au titre de la PAC.

Il n’était un secret pour personne que la correction britannique serait l’un des enjeux de la prochaine négociation budgétaire sur les futures perspectives européennes (un enjeu de 800 à 1000 Mds €). Trop de pays sont concernés par un système devenu, avec le temps, totalement injuste. Le projet constitutionnel, dans sa version d’origine, avait été une première menace puisqu’il prévoyait de faire passer la correction à la majorité qualifiée au lieu de l’unanimité comme aujourd’hui. Les Britanniques ont fait retirer cette disposition qui leur aurait été fatale. La deuxième menace vient cette fois de la Commission qui propose une sorte de correction généralisée sous forme d’un écrêtement des soldes nets, mais tout de même beaucoup moins favorable aux Britanniques que le rabais actuel.

Devant le feu nourri et la force des critiques, la réplique britannique traditionnelle – le rabais britannique n’est qu’une déclinaison du fameux « I want my money back » de Mme Thatcher- risquait d’être insuffisante et même provocante. Les circonstances imposaient un changement de tactique.

Après la riposte, vient le temps de l’esquive. Car en annonçant l’organisation d’un référendum sur le projet de Constitution fin 2005, soit exactement au moment du bouclage des négociations sur les futures perspectives financières européennes - mais il s’agit sans doute d’une pure coïncidence – le Premier Ministre britannique joue un coup magistral. Certes, dans cette affaire, M. Tony Blair poursuit avant tout un objectif intérieur, destiné à faire face aux eurosceptiques, mais il se pourrait qu’il ait aussi quelques arrières pensées budgétaires. Dès lors que le Royaume Uni s’engage dans la voie du référendum, tout sera fait par ses partenaires pour que l’issue de la consultation soit favorable. La remise en cause du rabais britannique par ses partenaires serait évidemment irréparable. Et si un mécanisme d’écrêtement généralisé s’y substitue, soyons sûr qu’il il ne fera pas perdre une livre au Royaume Uni. Ainsi en proposant un référendum, le Royaume Uni préserve son avantage. Joli coup, joli coût, M. Blair ! Mais il paraît que c’est cela la diplomatie britannique.


Mots clés : correction, correction britannique, rabais, chèque, contribution du RU, accord de Fontainebleau,financement du budget communautaire, France et correction britannique, référendum britannique
Source : Libération
Date : 14/07/2004

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.