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Les compétences budgétaires du Parlement français et du Parlement européen

Le pouvoir budgétaire du parlement français et du Parlement européen


Les parlementaires français n’aiment pas qu’on les compare aux eurodéputés, certes élus au suffrage universel mais dans des conditions telles qu’ils en perdraient toute légitimité. D’ailleurs un député qui ne connaît après son élection que des lobbies et aucun électeur peut - il être un « vrai » parlementaire ? Pourtant, les comparaisons ne tournent pas toujours à l’avantage de celui qu’on croit. Notamment dans le domaine budgétaire.

- Le pouvoir fiscal

Il existe un lien historique, indissociable entre démocratie et consentement à l’impôt. Ce fut la première revendication des Etats Généraux en 1789, formalisée à l’article XIV de la Déclaration des Droits de l’Homme. Les parlementaires furent longtemps extrêmement sourcilleux sur ce point, s’opposant à toute intrusion de l’exécutif. En 1958, le pouvoir fiscal du Parlement est le seul que le Général De Gaulle n’ait guère touché. Aux termes de la Constitution, « la loi fixe les règles concernant l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature ». Certes, dans les faits, l’initiative repose quasi exclusivement sur le gouvernement et l’article 40 interdit tout amendement « qui aurait pour conséquence une diminution des ressources publiques », mais malgré ces limitations, le pouvoir du Parlement est bien réel. Il est presque entier au moment de l’introduction d’un nouvel impôt (même si le gouvernement peut passer outre une éventuelle opposition en recourant à l’article 49.3 qui a pour effet de faire adopter un texte sans vote, comme ce fut le cas en 1990 lors de l’introduction de la Contribution Sociale Généralisée). Il reste non négligeable par la suite puisque le Parlement peut toujours créer un nouvel impôt (taxe sur les journaux gratuits), réduire ou modifier un impôt existant sous réserve de compenser -« gager »- la perte de recettes par la majoration d’un autre impôt (même si la compensation est souvent formelle). La discussion des articles fiscaux est d’ailleurs le temps fort du débat budgétaire. Plusieurs centaines d’amendements sont alors débattus dans chacune des deux assemblées.

A l’inverse, le pouvoir fiscal du PE est quasi inexistant. Pour la simple raison qu’il n’existe pas d’impôt européen. Le budget de l’Europe est financé par des ressources propres qui ne sont pas des impôts, à l’exception des droits de douane mais dont les taux sont fixés par le Conseil. Le prélèvement sur une assiette reconstituée de TVA n’est pas un véritable impôt puisque les taux d’appel varient pour chaque Etat, et la ressource assise sur le PNB est un simple produit à percevoir, calculé par différence entre les dépenses à financer et les autres ressources. En effet, l’une des singularités du budget communautaire est que les recettes s’ajustent aux dépenses (et non pas le contraire) dans la limite d’un plafond fixé par les Etats membres. Le PE n’intervient sur les recettes qu’à titre indirect puisque, en arrêtant le montant des dépenses, il détermine automatiquement le montant de la ressource PNB qui sera prélevée sur les Etats.

Ainsi, en matière fiscale, le pouvoir du Parlement français, sans être ce qu’il était, demeure important. Le pouvoir du PE est quasi nul et, pour les raisons indiquées au début, toute tentative pour le faire apparaître suscite immédiatement une opposition quasi unanime de la part des parlementaires nationaux.

- Le pouvoir sur les dépenses

S’agissant des dépenses, le rapport s’inverse car, selon l’expression de M. Jean Louis Bourlanges, député européen, il faut alors comparer « le pouvoir quasi illimité mais virtuel du Parlement français au pouvoir limité mais bien réel du Parlement européen ». En France, les charges de l’Etat sont fixées chaque année par la loi de finances votée par le Parlement. Mais d’une part, la loi n’est qu’une autorisation de dépense et non une obligation, ce qui explique que sitôt votés, les crédits sont parfois amputés par le gouvernement, d’autre part l’initiative repose exclusivement sur le gouvernement. Le Parlement est ligoté par le même article 40 qui, en matière de dépense, est extrêmement rigoureux puisqu’il interdit tout amendement « qui aurait pour conséquence la création ou l’aggravation d’une charge publique ». Contrairement à ce qui se passe en matière fiscale, il n’y a aucune compensation possible. Le Parlement ne peut gager une nouvelle dépense ni par une nouvelle recette, ni par une économie sur un autre poste. Son seul droit est de diminuer les dépenses. Ce qu’il fait parfois, mais de façon très exceptionnelle et toujours avec l’accord du gouvernement (comme pour le budget de 1996). Concernant la répartition des dépenses, le Parlement ne peut redéployer des crédits que par le biais d’artifices de procédure et de façon marginale. Il en est de même de la fameuse « réserve parlementaire », sorte d’enveloppe à la discrétion des assemblées mais qui prend formellement la forme d’un amendement du gouvernement. Au total, la marge de manoeuvre est extrêmement réduite, moins de 0,4% du total sur un budget général de 1600 milliards de francs (243 milliards d’euros).

La situation du PE est toute autre. Le budget n’a pas le même poids (96 milliards d’euros) et le pouvoir du PE est apparemment moins important puisque le vote est partagé par moitié entre le Conseil, qui vote les dépenses obligatoires - les DO-, et le PE qui vote les dépenses non obligatoires - les DNO-. Même si chaque branche de l’autorité budgétaire peut intervenir dans le domaine de l’autre, les règles de majorité sont telles que le PE a plus de pouvoir sur les DO que le Conseil n’en a sur les DNO. De fait, le PE a la quasi maîtrise des DNO et sa faculté d’amendement est totale. Il peut réduire, modifier l’affectation et augmenter une dépense. Il peut même créer une dépense nouvelle en l’absence de base juridique. Les « dépenses sans base légale » ont souvent été le terrain de jeu du PE qui lui a permis d’initier quantité d’actions, parfois secondaires voire inutiles quand elles ne servent qu’à financer des études, parfois importantes telles que l’initiative Konver de reconversion des industries d’armement, ou l’instrument financier pour l’environnement LIFE dont le L n’est autre que l’initiale de son initiateur, M. Alain Lamassoure, alors président de la Commission des budgets au PE. Ces initiatives, contestées par la Cour de Justice, ont été consacrées par un accord inter-institutionnel en juillet 1998, qui fixe les montants autorisés chaque année pour ces actions.

Toutes ces mesures donnent au PE une faculté d’initiative sans égal au parlement français. Ainsi tandis que ce dernier enregistre plus qu’il n’intervient dans le budget national, le PE choisit et décide une bonne moitié du budget communautaire. Tout contribue à ce que ce mouvement se poursuive. Le PE est peut-être le seul Parlement au monde qui voit ses pouvoirs augmenter. Tandis que le parlement national continue de se chercher face à un exécutif ultra dominant et de nouvelles formes de médiatisation, le PE commence à trouver sa place dans une Europe en construction.


Mots clés : Parlement européen, parlement français, compétences budgétaire, pouvoir fiscal, budget, impôt, dépense, procédure budgétaire
Source : Le Monde
Date : 27/04/1999

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.