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La gestion des dépenses imprévues

La gestion des dépenses imprévues


Comment le budget communautaire et le budget national réagissent il aux imprévus ? La tempête et la marée noire sont l’occasion de poser la question.

Le principe est simple. Ni le budget français ni le budget communautaire ne sont des outils adaptés aux dépenses imprévues. Un budget n’est pas une police d’assurance. Deux règles budgétaires sont applicables en la matière : l’annualité selon laquelle les dépenses sont autorisées et prévues pour l’année, et la spécialité selon laquelle une dépense est affectée à un objet précis. Le parlement français/européen, qui vote les dépenses, ne donne pas un chèque en blanc au gouvernement/ à la Commission, chargé/e d’exécuter le budget, sans savoir à l’avance à quoi elles vont servir. La spécialité budgétaire, instituée après la révolution de 1830, est la marque d’une démocratie parlementaire et n’a été remis en cause qu’à de rares exceptions, pendant le second Empire et les deux guerres mondiales.

Tout principe comporte des exceptions. C’est à ce stade que des différences majeures apparaissent entre les deux budgets.

En France, le gouvernement peut aisément s’affranchir des contraintes des principes budgétaires. L’ordonnance de 1958 relative aux lois de finances, application financière du « parlementarisme rationalisé » prévoit deux échappatoires. D’une part, il existe des « chapitres réservoirs », destinés à faire face aux « dépenses éventuelles ou accidentelles » (1,94 milliards de francs dans le budget 2000). C’est cette formule qui a été utilisée cette année pour financer les premières dépenses liées aux intempéries et au nettoyage des plages. D’autre part, le gouvernement, « en cas d’urgence », peut prendre un «décret d’avance » dont l’objet est d’autoriser des dépenses qui n’avaient pas été prévues dans le budget initial. Ces avances sont par la suite régularisées par le Parlement dans une loi de finances rectificative (ou « collectif »). De nouvelles dépenses peuvent aussi être votées à cette occasion. 5 milliards de francs ont été annoncés dans le prochain « collectif de printemps » pour les intempéries.

Ces dérogations n’existent pas dans le budget communautaire. Les pouvoirs de la Commission, exécutif budgétaire, n’ont rien à voir avec ceux du gouvernement français, véritable décideur et maître de la procédure budgétaire en France. Tout d’abord, le budget européen ne comporte pas de chapitre réservoir destiné à financer des dépenses imprévues, à l’exception de deux réserves pour les actions extérieures dont la principale est une « réserve d’aide d’urgence » mobilisée par la Commission après accord de l’autorité budgétaire c’est à dire du Parlement européen et du Conseil. En 1999, les 346 millions d’euros de la réserve ont été utilisés pour le Kosovo et le Vénezuéla.

Ces réserves pré affectées ne concernent que des dépenses extérieures. Un système comparable, quoique très faiblement doté, a existé jusqu’en 1996 pour les dépenses intérieures. La Commission européenne a ainsi octroyé des « aides d’urgence » aux populations de la Communauté victimes de catastrophes (séisme en Italie, écrasement d’un avion à Amsterdam). Deux oppositions, juridique et politique, ont mis fin à cette procédure. La Cour de Justice européenne a considéré que le seul fait d’ouvrir une ligne budgétaire ne suffisait pas à fonder la dépense et qu’il fallait une « base légale », un règlement d’application au préalable. De son côté, le Parlement européen, accusé - non sans tord - de saupoudrage des crédits, ne voulait plus voter des lignes si peu dotées. La réserve a donc disparu. Il n’y a plus de crédit pour financer des dépenses internes imprévues. Si le naufrage de l’Erika ou les tempêtes s’étaient produits il y a cinq ans, des crédits de ce type auraient pu être utilisés. Ce n’est plus possible aujourd’hui.

La procédure du décret d’avance n’existe pas non plus dans l’Union. Lorsqu’une majoration de crédits paraît indispensable, la Commission prépare un budget rectificatif supplémentaire (BRS, équivalent européen du collectif) qui doit être voté par l’autorité budgétaire. La procédure est donc plus lourde qu’en France où le gouvernement décide d’abord et fait ratifier ensuite. Encore convient - il de noter que les dépenses supplémentaires prévues dans ce BRS ne peuvent être totalement nouvelles puisqu’on retomberait alors sur l’opposition de la Cour.

Contrairement à la France, le surplus de recettes, qui sera connu dans quelques semaines, n’est d’aucun secours. Paradoxalement, la fausse cagnotte en France, - qui n’est qu’un surplus de recettes par rapport aux prévisions mais laisse subsister un déficit budgétaire - donne une marge d’action au gouvernement, tandis que le vrai excédent budgétaire européen - puisque le budget est voté en équilibre, le surplus de recettes se traduit par un excédent budgétaire - n’en donne pas. En 1995, la Commission avait proposé que l’éventuel excédent constaté une année soit reporté pour constituer une réserve pour l’année suivante. Cette proposition a été rejetée par le Conseil. Il n’était pas question que la Commission constitue sa pelote. Tout excédent d’une année n est restitué aux Etats membres sous forme d’une diminution de leur contribution financière l’année n+1.

Si des majorations paraissent très peu probables, des redéploiements de crédits sont possibles. Il peut s’agir d’un redéploiement du solde des crédits de l’ancienne programmation (1994/1999) ou, surtout, d’un redéploiement des enveloppes de la future programmation (2000/2006). La période est favorable puisque la plupart des plans ne sont pas encore bouclés. Le plan de développement rural (5,32 milliards d’euros) présenté par la France en décembre, a été adapté pour tenir compte de la situation nouvelle. De la même manière, les documents de programmation des fonds structurels (5,4 milliards d’euros) sont en cours d’élaboration et ce délai est mis à profit pour rendre éligibles les zones touchées et inclure des mesures de réhabilitation. Rappelons qu’il s’agit de redéploiements. Ils se feront au détriment d’autres dépenses ou d’autres zones, mais il s’agit là d’un arbitrage national ou régional.

Tout est possible car les programmations ne sont pas closes. Douze mois plus tard, les modifications auraient été plus difficiles. Une réflexion est en cours pour reconstituer une réserve destinée aux actions d’urgence dans la Communauté.


Nota : Cet article est paru dans le Monde de l’économie daté du 4 avril 2000. En 2003, des crédits prévisionnels visant « des opérations dénuées de base légale au moment de l’établissement du budget » ont été rétablis, comme le laissait entendre la fin de l’article.


Mots clés : budget communautaire, gestion, crédits, dépenses imprévues, réserve, urgence,
Source : Le Monde
Date : 04/04/2000

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.