FINANCES DE L'EUROPE - Tout savoir sur le budget de l'Europe

La crise de mars 1999 entre la Commission et le Parlement européen

Les relations entre le Parlement européen et la Commission -
histoire d’une rupture


attention: ce texte a été publié par le Monde du 23 mars 1999 avec quelques modifications


La démission de la Commission, le 15 mars dernier, est le dénouement d’une histoire qui remonte à 1996. Cette année là, la Commission est sévèrement critiquée pour sa gestion de la crise de la vache folle. Ces critiques et le lancinant problème des fraudes nuisent gravement à l’image de l’Union. Le Parlement européen (PE), lui, se doit de partager la rigueur demandée aux Etats membres pour se préparer à l’euro. Il ne peut prendre le risque de l’impopularité. Les prérogatives et le pouvoir du PE ont augmenté, le moment est venu pour lui de prendre des positions claires et de le faire savoir.

Avant 1996 il y avait bien eu quelques anicroches. Une querelle en 1983 sur une opération dite du « beurre de Noël » demandée par le PE pour écouler les stocks mais que la Commission trouvait inutile et coûteuse, un refus de décharge en 1984 sur le budget de 1982, un report de décharge en 1987, des remontrances à la fin des années 80 sur la « renationalisation des ressources propres » que la Commission avait laissé faire, mais rien de grave. Les critiques s’adressaient souvent à d’autres, au Conseil et aux Etats membres, la Commission n’étant que le correspondant privilégié ou le paratonnerre. L’alliance tenait bon, ne serait-ce que pour des raisons pratiques, puisque comme le note M. Samland, l’actuel président de la Commission des budgets, (la « COBU »), « depuis dix ans que je fais ce métier, les ministres ont changé tous les six mois, alors que les services de la Commission, eux, sont toujours les mêmes ». Cela crée des liens, des habitudes, sinon une connivence.

En 1998, avant les grandes échéances de 1999 (agenda 2000, débats sur le financement, application d’un nouveau traité, élections en juin, renouvellement de la Commission prévue en fin d’année...), le contexte politique a changé. Pour la première fois, le PE adopte un montant de dépenses non obligatoires (DNO) sensiblement inférieur aux propositions de la Commission et affiche ainsi son souci de rigueur. Le contrôle devient plus pointilleux et dénonce les irrégularités du programme de partenariat avec les pays méditerranéens (programme Med) et de l’Office humanitaire sur lequel de sérieux doutes de fraude commencent à peser. La commission du contrôle budgétaire du Parlement européen (la «COCOBU») demande à l’unité de lutte anti fraude (l’UCLAF ), la transmission d’un rapport qu’elle venait de rédiger à ce sujet. En voici un extrait :
« « All details are to sorted out by ***. *** confirmed that it was not *** who proposed *** for this operation ». (...) Tous ces faits prouvent la possible perception de bénéfices indus. (...). L’UCLAF considère que …………… ».
Astérisques à répétition, lignes en pointillé, encadrés vides, alors que des extraits seront publiés quelques jours plus tard dans la presse belge, pour la COCOBU, la coupe est pleine. L’histoire des relations entre le PE et la Commission bascule.

Nous sommes en novembre 1998. Quelques semaines plus tard, le Parlement européen (PE) n’accordera pas la décharge à la Commission pour l’exécution du budget 1996 et conduira la Commission à la démission à la suite d’un parcours budgétaire rocambolesque. En avril, la COCOBU avait annoncé qu’elle ne pourrait proposer de voter la décharge, mais, finalement se rétracte en novembre et recommande de justesse la décharge (14 voix contre 13 ). Pourtant, l’assemblée plénière ne suit pas la recommandation de sa commission. Le groupe socialiste dépose alors une motion de censure en annonçant qu’il ne la votera pas. Un artifice de procédure simplement destinée à forcer le PE à aller jusqu’au bout de sa logique en contraignant la Commission à démissionner. Dans le même temps, d’autres soupçons apparaissent, portant cette fois sur les pratiques actuelles et mettant directement en cause deux commissaires européens. Fraudes sur le budget 1996 et accusations de népotisme se mêlent, finissent par peser lourd... La motion est retirée après que le PE ait décidé de créer un comité d’experts chargé d’enquêter sur les affaires en cours, mais une autre motion est votée et repoussée. Dans son rapport rendu public le 15 mars, le comité confirme les accusations, dénonce les cas de « corruption indubitable »et de « favoritisme avéré ». Pour éviter une censure parlementaire quasi certaine, la Commission démissionne le soir même...

On observera que les relations basculent peu après le renouvellement de la Commission, désormais sous la présidence du belge Jaques Santer et que, lors du précédent de 1984, le président d’alors, le luxembourgeois Gaston Thorn, n’appartenait pas non plus à l’un des grands Etats membres. On remarquera également que le conflit éclate à quelques semaines de la nouvelle présidence allemande et que les présidents des deux commissions budgétaires du PE sont aussi de cette nationalité. Simples coïncidences naturellement.


Mots clés : Parlement européen, Commission, crise, décharge, censure, démission, corruption, contrôle,
Source : Le Monde
Date : 23/03/1999

Rubriques

Recherche


S'abonner & partager

A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.