FINANCES DE L'EUROPE - Tout savoir sur le budget de l'Europe

Le bouc émissaire britannique

Le bouc émissaire britannique
 
Nicolas Jean Brehon
 enseignant en finances publiques à Paris I Sorbonne
 
Ca y est, la France, l’Europe, a trouvé son bouc émissaire pour expliquer la crise autour du budget européen : le Royaume Uni, accusé de bloquer les négociations par sa double intransigeance : réduire le budget et garder son rabais. Autant le dire simplement, cette présentation est purement démagogique. Elle convient à ce que les Français veulent entendre mais elle n’est que mascarade.
 
Il n’est pas question de défendre « nos amis britanniques » comme on dit en politique pour désigner en général son ennemi proche. Car il est vrai qu’il est ahurissant que la première politique européenne dont bénéficient les Anglais soit ... le chèque que leur verse les autres Etats !!! Il est étonnant de maintenir un régime inventé lorsque le Royaume uni était un des Etats les plus pauvres de la Communauté économique européenne à neuf alors que le pays compte aujourd’hui parmi les plus riches de l’Union à 27. Il est surprenant de voir que les contributions des Etats membres au budget européen sont quasi proportionnelles à leur part dans le revenu national brut (RNB) européen, sauf pour les Anglais (12,1% du budget pour 14,8 % du RNB européen). Il est agaçant que « nos amis » continuent de mettre en cause le coût de la Politique agricole commune (PAC), qui représentait 70% du budget communautaire  lors de la création du chèque britannique en 1984, alors que cette part de la PAC est tombée à 40 % (33% annoncés en 2020) et que le coût  de l’Europe pour le Royaume Uni n’est manifestement plus lié à la PAC. Il est usant de voir un pays se plaindre tout le temps alors que le fameux chèque britannique représente tout de même 3,6 milliards d’euros par an, dont près de 1 milliard à la charge des Français (15 euros par habitant) et que l’influence des Britanniques dans l’Union est absolument considérable : ce sont les meilleurs eurodéputés, ils ont des postes clef à la Commission, le droit et la façon de penser britannique s’immisce dans tous les rouages de l’Union et en plus... on y parle anglais.
 
Certes. Et pourtant, les accusations du moment sont trop faciles et indignes du débat.
 
Premier sujet : le niveau des dépenses. Les Anglais bloquent-ils la négociation ? Ce serait si commode... Certes, leur ligne rouge est le gel du budget. Ils ont même demandé des coupes drastiques sur les dépenses : « au moins » 100 milliards de moins sur la proposition de la Commission de juillet 2012. Mais, en réalité, les Anglais ne sont pas les seuls à être sur cette position « dure » : l’Autriche, les Pays Bas, la Suède, ont proposé des baisses en volume comparables ; la Finlande, le Danemark et l’Allemagne ont, eux, fixé une limite du budget en proportion du RNB (1%), ce qui revient au même. Dans cette affaire, les plus « durs » sont en vérité les Allemands. 1%, pas plus. Premiers financeurs du budget (20% du budget), premiers contributeurs nets ( -9,1 milliards en 2010-2011), les Allemands ne veulent pas qu’ »on utilise abusivement leur argent », comme ils l’ont dit dans la négociation.
 
Et les Français ? En fait ce seuil, nous arrangerait bien. Certes, officiellement, nous défendons tout - les agriculteurs, les régions, la compétitivité-, mais en coulisse, les services font leurs calculs : toute augmentation du budget est financée par des prélèvements sur les recettes fiscales nationales (19 milliards en 2013, 300 euros par habitant). Autant que cela ne soit pas trop important... pour éviter de creuser le solde budgétaire ou de rogner sur d’autres dépenses.   On accuse les Anglais en espérant qu’ils réussiront...
 
Deuxième sujet : le rabais. Il faut tout remettre à plat. Cela fait 20 ans qu’on dit cela et... cela fait 20 ans qu’on maintient le rabais.  Pour deux raisons. D’abord, pour une raison d’argent. Malgré le rabais, le Royaume Uni reste un gros contributeur net: - 5,6 milliards d’euros en moyenne en 2010 et 2011. Sans le rabais, leur solde net passerait à 9,3 milliards. Posons-nous juste une question : le solde net de la France est de -5,9 milliards, soit un niveau très proche de celui des Anglais. Serions nous prêts, nous aussi, à avoir un solde net de -9,3 milliards soit 150 euros par Français ? Pour aider les régions grecques ou polonaises ?  Ce serait généreux et solidaire sans doute. Mais bon...
 
Ensuite, il y a une question politique. Car l’accord budgétaire doit être adopté à l’unanimité. C’est aussi simple que ça. Le rabais britannique est identitaire aux yeux des Anglais. Ils ne lâcheront jamais sur ce point. Il faut donc composer. C’est toute la force de la proposition Von Rompuy de novembre 2012, qui a renoncé aux vieilles lunes sur la renégociation des rabais (car les Anglais ne sont pas les seuls) et qui a proposé de les garder en aménageant leur mode de calcul et de financement. Une solution, certes, pas idéale mais de bons sens. Une solution de compromis et de négociation. Pourquoi remuer ces sujets ? Pourquoi surtout, braquer ses partenaires. Certes, « nos amis » sont encore plus figés que nous mais c’est une donnée de la négociation. On piétine.
 
A quoi cela sert-il ? Faire plaisir à l’opinion ? La négociation budgétaire européenne mérite mieux que cette « sortie », aussi illusoire que la sortie du Royaume Uni de l’Union. A mascarade, mascarade et demi.


Mots clés : rabais britannique, négociation budgétaire
Source : Le Monde.fr 23 novembre 2012
Date : 26/11/2012

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.