FINANCES DE L'EUROPE - Tout savoir sur le budget de l'Europe

Vers un accord sur le cadre financier 2014/2020. La fin d'un (petit) suspense budgétaire

 

Le Conseil européen des 7 et 8 février 2013 devrait se conclure sur un accord sur le prochain cadre financier pluriannuel (CFP) sur la période 2014/2020. Cet accord mettra un terme à dix huit mois de négociation, Quel est le compromis envisageable, sinon prévisible ? Quelles leçons tirer de cette négociation ?
  
 
 
 I Vers quel compromis budgétaire ?
 
 A Les étapes de la négociation
 
Il s’agit du cinquième exercice de ce type [1] et la procédure est désormais bien rodée. Elle se déroule en cinq temps. 
 
1 La proposition de la Commission
 
La négociation budgétaire a été lancée officiellement par une proposition de la Commission, le 29 juin 2011, ajustée en juillet 2012 après une révision des prévisions de croissance et la prise en compte de l’adhésion prochaine de la Croatie[2]. La Commission s’est montrée beaucoup plus crédible que lors de la préparation de l’actuel CFP (2007/2013)[3], en prévoyant un niveau de dépenses, certes plus élevé que ne le voulaient les principaux financeurs du budget, mais sans excès, à un peu plus de 1000 milliards d’euros sur sept ans (1033 milliards en crédits d’engagement – CE[4]- soit 1,05 % du RNB de l’UE en moyenne annuelle). Cette proposition s’accompagnait d’une forte hausse des dépenses de compétitivité, d’une légère augmentation des dépenses de cohésion et d’une stabilisation des dépenses agricoles, maintenues à leur niveau de 2013 sur la durée de la programmation, c’est à dire sans réévaluation avec l’inflation.
 
La Commission parvenait à contenir les CE et à tenir le seuil symbolique des 1% en crédits de paiement (CP) grâce à une habilité de présentation consistant à multiplier les dépenses hors CFP, telles que les grands programmes d’investissements – GMES, ITER...- ou le programme d’aide alimentaire aux plus démunis[5]. A budget inchangé, la révision des perspectives de croissance en Europe conduit toutefois la Commission à relever la part du budget dans le RNB européen (de 1,05 % à 1, 08 % en CE).
 
2 La phase de négociation budgétaire entre Etats membres
 
La négociation budgétaire est une négociation entre Etats. Elle se déroule en trois temps
 
- Une phase de positionnement politique. En décembre 2010, et avant même que la négociation budgétaire soit ouverte, cinq Etats – Allemagne, France, Royaume Uni, Pays Bas, Finlande-  s’étaient positionnés sur le sujet en réclamant que « le niveau global (...) des crédits d’engagement soit fixé à un niveau compatible avec la stabilisation nécessaire des contributions budgétaires des Etats membres (...) avec une correction (sur la période) inférieure à l’inflation». Malgré le souhait français de fixer un plafond inférieur à 1% du RNB, aucun chiffre n’était alors mentionné.
 
-  Une phase d’observation[6]. Avant les arbitrages politiques, la position budgétaire nationale tient compte de la contribution de l’Etat au budget européen, de sa contribution nette, des dépenses dont il bénéficie jusqu’à présent et des dépenses dont il pourrait bénéficier demainet, bien entendu, de la situation budgétaire de l’Etat. Sans nier la nécessaire solidarité entre Etats membres et les politiques qu’il convient de soutenir, chaque Etat a tendance à privilégier les rubriques qui lui assurent des retours (la PAC pour la France, la politique de cohésion pour la Pologne...) et à éviter une dégradation de son solde budgétaire vis-à-vis du budget européen[7].
 
- Une phase de positionnement budgétaire. Après cette phase d’observation, certains Etats ont exprimé, à l’été 2012 (après la proposition actualisée de la Commission), des positions de négociation beaucoup plus tranchées, des sortes de « lignes rouges » symboliques et intouchables. Quelques Etats refusaient catégoriquement de baisser les dépenses dont ils bénéficiaient jusqu’alors (la Pologne par exemple). Quelques uns, parmi les contributeurs nets demandaient soit des coupes (100 milliards) dans le montant du budget (demande du Royaume Uni, de la Suède et de la Finlande), soit une limitation du budget en proportion du RNB (demande de l’Allemagne, de la Finlande et du Danemark). L’Allemagne fit alors connaître officieusement son objectif sur la période : 960 milliards d’euros « tout compris », au lieu des 1033 annoncés par la Commission hors CFP.
 
3. Les propositions de compromis
 
Un compromis autour du CFP a pour but de trouver un équilibre entre, d’une part, une ambition politique européenne et une cohérence avec des engagements publics – stratégie 2020, compétitivité, relance...- et d’autre part le maintien de dépenses historiques considérées par les Etats comme acquises, et des contraintes budgétaires qui s’appliquent à l’Union comme dans les Etats. Les positions commençaient à se figer avec, d’un côté, « les amis de la cohésion », emmenés par la Pologne, et de l’autre les « amis du better spending » appellation aimable de ceux qui voulaient contenir le budget, animés par l’Allemagne.
 
Après une première tentative de la présidence tournante de l’UE (en l’espèce Chypre), la présidence permanente du Conseil tenta un compromis. La présente négociation a été marquée par le rôle décisif qu’a tenu le président M. Herman Van Rompuy. Le fait d’être libre de tout engagement national, lui a permis de formuler une proposition budgétaire cohérente avec les discours politiques. La première proposition Herman Van Rompuy (dite HVR1) ramenait le montant du budget à 973,1 milliards, alors même qu’il faisait remonter dans le CFP une partie des dépenses jusque là en dehors. Cette proposition tablait sur une hausse des dépenses de compétitivité compensée par une baisse légère des dépenses agricoles (-20 milliards par rapport à la pp de la Commission) et une baisse massive des dépenses de cohésion (-70 milliards). Devant le tollé de certains Etats membres, une nouvelle proposition dite HVR 2 ramenait les baisses des deux rubriques à -10 et – 60, milliards pour un volume total de 971,8 milliards d’euros sur sept ans.  
 
4. La phase d’arbitrage du Conseil européen.
 
En marge de la procédure officielle prévue par le traité de Lisbonne (art.312) qui prévoit une « procédure législative spéciale » - une adoption par le Conseil à l’unanimité après approbation du Parlement européen-, l’accord repose, de fait, sur un arbitrage décisif au plus haut niveau des Etats lors d’un Conseil Européen (CE) dédié à cette négociation. L’accord est adopté par consensus, c’est à dire à l’unanimité sans vote explicite.
 
C’est cette dernière proposition HVR2 qui fut débattue et finalement rejetée au Conseil Européen des 22 et 23 novembre 2012. Il y a une part d’affichage dans ce refus collectif. Les Etats veulent montrer qu’ils se battent jusqu’au bout, qu’ils ne cèdent pas. C’est aussi une occasion de retrouver des boucs émissaires et de renouer avec les vieux débats budgétaires (PAC contre recherche, le chèque britannique, le financement des rabais...), parfaitement vains à ce stade de la négociation mais utiles pour une communication interne. En réalité, l’accord était proche, imminent même. Mais la logique politique était plus forte. Il n’y eut pas d’accord. Deux pays - le Royaume Uni et l’Allemagne- souhaitaient d’ailleurs toujours une baisse supplémentaire du budget. 
 
Ces différentes étapes sont présentées dans le tableau en annexe préparé par la Commission des Affaires européennes du Sénat.
 
 
B L’accord prévisible
 
1/ L’accord prévisible
 
 Le prochain Conseil va reprendre la négociation là où elle s’est terminée. Le socle est toujours la pp HVR 2, ajustée à son tour pour tenir compte des blocages exprimés en novembre, notamment de la part de l’Allemagne et du Royaume Uni qui évoque alors les gabegies de la Commission et l’hypothèse d’une sortie de l’Union.
 
L’accord est imminent. Outre une image désastreuse pour l’ensemble de l’UE, aucun Etat – sauf peut être le Royaume Uni-  n’a intérêt au blocage. Ni les principaux bénéficiaires du budget. Ni même les principaux contributeurs. En particulier ni l’Allemagne, car le dispositif sur les rabais dont elle bénéficie s’achève avec le cadre financier actuel, ni la France, car la forte association franco allemande sur les questions budgétaires éclaterait et l’Allemagne obtiendrait alors une baisse radicale des dépenses agricoles chères à la France.
 
L’accord a toutes les chances de se faire sur les bases suivantes.
 
-          au niveau global, l’accord se fera vraisemblablement entre 965 et 968 milliards d’euros. L’Allemagne, le Royaume uni et quelques autres Etats contributeurs demandent une baisse du budget proposé (971,8 Mds). Ils l’obtiendront. A l’inverse, le seuil des 1% du RNB, soit 960 milliards d’euros, marquerait trop l’influence de l’Allemagne qui, pour éviter d’être le gendarme de tous, doit se monter conciliante. L’accord se fera entre les deux, à un niveau un peu inférieur à 1,01 % du RNB.
 
-          Au niveau des rubriques, il faut économiser 5 à 8 milliards. Le Royaume Uni exigera une baisse des dépenses administratives (-2 Mds ?). Le mécanisme pour l’interconnexion en Europe (MIE), assez peu défendu et doté de 41,2 Mds au sein de la rubrique compétitivité, sera revu à la baisse. Il y a très peu de marge sur les dépenses de cohésion. Le montant consacré aux régions en convergence est intouchable,  -ce serait un casus belli pour la Pologne-. En revanche, la dotation  affectée aux régions intermédiaires sera discutée ainsi que celle du fonds européen aux plus démunis, toujours très contesté par plusieurs Etats membres. La marge sur les dépenses agricole parait aussi quasi nulle et une baisse éventuelle du deuxième pilier serait symbolique. Il en va de même sur les dépenses extérieures.  
 
-         Comme pour le CFP 2007/2013, l’accord comportera inévitablement quelques dérogations, soit sur le financement (application de taux réduits de TVA, etc...) soit sur les dépenses avec des affectations de dotations spécifiques. L’unanimité est à ce prix. En application de cette « logique des cadeaux », l’accord sur le CFP 2017 2013 s’était traduit par quarante dérogations.
 
-         Sur le financement, il y a peu de bouleversement à attendre à l’exception de l’avancée du projet de taxe sur les transactions financières, en coopération renforcée et d’un possible ajustement du calcul du rabais britannique, tout à fait modeste[8]. La révision des différents rabais (rabais britannique et « rabais sur le rabais » pour l’Allemagne, la Suède, les Pays Bas et l’Autriche) n’est pas pour cette fois ci.
 
 
2/ Les suites
 
Le CFP tel qu’il résultera de l‘accord du Conseil européen n’est cependant pas le cadre définitif. Aux termes de l’article 312 du Traité sur le Fonctionnement de l’UE, l’adoption du règlement final requiert l’approbation du Parlement européen. Pour obtenir cette approbation, le Conseil devra vraisemblablement accepter de rajouter quelques milliards (entre 3 et 4 milliards d’euros ?). Il en avait été ainsi lors de la précédente négociation[9].
 
Le PE avait certainement plus d’ambitions au départ. Il avait exigé de débattre du volet ressources en en faisant une condition de son approbation. La réforme sera de bien moindre ampleur que prévu, néanmoins, le projet de taxe sur les transactions financières, même seulement en coopération renforcée et avec une application décalée, crée une dynamique. L’influence du PE sur le volet dépenses reste très faible. Cette désillusion prévisible face au primat de la logique purement budgétaire sera compensée par l’ajout de dispositions qui permettront de faire oublier la déconvenue du PE. On peut s’attendre à ce que le PE exige -et obtienne- une révision du CFP à mi parcours ou bien encore un engagement -ferme cette fois- des Etats sur une réforme du financement du budget.
 
Après ces ajustements budgétaires, le règlement définitif sur le CFP devrait être adopté entre avril et juin 2013. L’accord final devrait se situer un peu au dessus de 1,01 % du RNB, en CE.
 
 
II Les leçons de la négociation
 
1/ L’effet de la crise
 
La spécificité de la négociation du CFP 2014/2020 réside dans le fait que les Etats ont débattu, avant tout, du montant de global du budget et de leur contribution brute, ainsi que du montant des CE.
 
En temps de crise, c’est le montant global du budget qui compte plus que la répartition elle-même. Il ne faut pas oublier que, dès lors que le financement du budget repose principalement sur des contributions nationales prélevées sur les recettes fiscales des Etats membres, toute dépense européenne, à fortiori toute augmentation du budget européen pèse d’abord sur les comptes nationaux et sur l’équilibre budgétaire. Toute dépense européenne commence par un prélèvement sur les recettes fiscales des Etats. Ainsi, même les Etats bénéficiaires du budget voire très bénéficiaires, comme la Grèce, n’étaient pas opposés à un budget de rigueur. Contrairement aux cycles de négociation précédents, très focalisés sur les soldes nets, l’attention des Etats s’est concentrée sur leur contribution brute.
 
Les négociations antérieures avaient été centrées sur les CP - qui vont se traduire par des prélèvements sur les recettes fiscales nationales-, bien d’avantage que sur les CE qui relèvent plus de l’affichage politique. Le décalage qui en résulte – avec des CE manifestement gonflées par rapport aux CP- s’est traduit par des restes à liquider considérables (240 milliards d’euros). L’accord s’est fait cette année sur les CE. Le montant des CP sera encore plus contraint, autour de 0,98%, de telle sorte que les contributions réelles des Etats membres seront stabilisées. La négociation du CFP 2014/2020 marque incontestablement la victoire de la logique budgétaire défendue par les Etats membres.
 
 
2/ L’influence décisive des contributeurs nets.
 
La notion de compromis est au coeur de la construction européenne. Dans le domaine budgétaire, il faut avoir la lucidité de reconnaître que le terme est inadapté. Il y a certes une part de compromis entre attentes différentes mais il y a surtout le poids inégal des parties dans la négociation. L’influence des principaux contributeurs bruts et des principaux contributeurs nets[10] est déterminante. La voie du compromis est moins dans un mix entre contraires que dans la façon de faire accepter par tous ce qui a été demandé –décidé ?- par quelques uns.
 
La phrase est brutale, et même inacceptable, mais elle correspond aux faits. Tel un magicien de cabaret qui met une carte dans une enveloppe qu’il révèle à la fin, tout bon connaisseur du fonctionnement des finances européennes aurait pu mettre le chiffre sur un papier dès décembre 2010, avant même la proposition de la Commission. Pourquoi cette date?  Parce que les principaux Etats contributeurs avaient donné leur limite, et que cette position a été entendue. Il en fut de même en 2005 lors de la négociation du CFP 2007/2013.
 
Peut-il en être autrement ? Quels sont les signataires de la lettre du 18 décembre 2010 ? Il s’agit de l’Allemagne (20 % du financement du budget en 2012, et une contribution nette de - 9, milliards en 2011), de la France (respectivement 16,7%  et – 6,4 milliards), du Royaume Uni (12,1% et -5,5 milliards), des Pays Bas (4,8%, et – 2,2 milliards), et de la Finlande (1,6% et -0,6 milliards). Soit au total de 55% des ressources du budget et une contribution nette totale de 24 milliards d’euros (redistribués aux bénéficiaires nets via le budget UE). La limite a été donnée au départ par des Etats qui financent plus de la moitié du budget et qui représentent les ¾ des contributions nettes des Etats membres. Peut –on éviter qu’ils soient dominants dans la négociation ?
 
Si le quasi blocage du Royaume Uni fut bien connu, la détermination allemande à contrôler le budget européen fut très ferme dans la dernière phase de négociation. L’Allemagne prudente au départ, et refusant même de suivre la proposition française d’afficher un plafond de 1% en début de négociation, fut l’un des pays les plus déterminés par la suite, le ministre des affaires européennes allemand refusant qu’ »on utilise abusivement leur argent ».....
 
3 Un certain embarras français
 
Si tout se passe comme il est indiqué dans cette note, les deux Etats vainqueurs seront le Royaume-Uni et l’Allemagne. Les deux pays avaient un objectif clair : le premier voulait garder le rabais et le second, limiter le budget. Ils obtiendront gain de cause. La France fut embarrassée par le manque de priorité simple. Au temps de l’ancienne majorité, la France visait deux objectifs : limiter le budget et garder la PAC « à l’euro près ». La nouvelle majorité a gardé ces deux anciens objectifs en leur adjoignant deux nouveaux : majorer les fonds structurels au bénéfice des régions françaises ( les régions dites « intermédiaires ») et orienter le budget vers la relance. En dépit de contorsions de présentation, il s’agit de priorités contradictoires. La France ne peut tout à la fois, avoir autant pour la PAC, plus pour les régions et plus encore pour la compétitivité tout en limitant le budget européen...
 
Mais, dans cet éventail, les priorités n’ont pas le même poids. Il y a les priorités politiques, thématiques, officielles, et la priorité budgétaire et presque comptable, mais plus officieuse. La France est le pays de l’Union dont la dégradation du solde net a été la plus rapide de l’UE : autour de -2 milliards d’euros au début des années 2000, - 6,4 milliards en 2011.  Dès lors que la France ne pouvait renégocier le système de financement des rabais – une illusion bien naïve un temps caressée -, la France craignait par-dessus tout une augmentation de sa contribution brute. Sans le dire trop ouvertement, la France est assez satisfaite de la tournure de la négociation budgétaire.  D’abord, la France n’a pas eu à « défendre la PAC » comme elle pouvait le craindre. Elle n‘est plus seule contre tous, loin s’en faut. Ensuite, un budget contenu à 1,01% en CE, et encore moins en CP, lui donne la garantie que sa contribution au budget européen via son prélèvement sur recettes n’augmentera pas (19,6 milliards d’euros en 2013). Elle a dores et déjà un des prélèvements par habitant les plus élevés d’Europe (300 euros par habitant). Même si cela ne se dira guère, la priorité officieuse, budgétaire, l’a emporté sur les priorités officielles.
 
 
4 L’évolution du budget de l’UE : entre inertie et transformation lente
 
La négociation budgétaire qui arrive à son terme peut laisser un goût d’amertume à tous ceux qui pensaient que ce serait une occasion pour innover, changer enfin le budget européen. Il n’y a guère de changement.
 
La PAC n’a pas été renégociée. Le budget de la PAC a été beaucoup moins contesté qu’on pouvait s’y attendre. La PAC, c’est la politique historique de l’UE et celle qui est historiquement, la plus contestée. Préemptée lors des négociations d’adhésion de 2004, elle n‘avait pas été débattue lors du CFP 2007/2103 et la France pouvait craindre-  à ce qu’elle le soit cette fois ci. Cela n’a pas été le cas : les nouveaux Etats membres sont des soutiens de la PAC, le commissaire européen Dacian Ciolos défend son budget (il y eut dans le passé des commissaires chargées de l’agriculture beaucoup moins entristes !), avec la crise alimentaire des années 2007/2008 même les plus libéraux ont admis l’utilité d’un soutien à l’agriculture européenne ; enfin, la Commission présenta d’emblée, une position très raisonnable avec une reconduction du budget de la PAC à son niveau de 2013 en euros courants, sans indexation sur l’inflation. Cette proposition fut satisfaisante voire inespérée. Certes, la proposition de la Commission a été amputée de -10 milliards (HVR2) mais la PAC qui devrait atteindre 361,5 milliards d’euros sur la période, reste à plus de 50 milliards par an.
  
Le deuxième constat est celui d’une incroyable inertie budgétaire. Les rubriques demeurent presque inchangées. Les discours, les ambitions affichées butent sur une inertie due au fait que les Etats, tous les Etats, privilégient les dépenses qu’ils ont aujourd’hui à celles qu’ils pourraient avoir demain. En d’autres termes, les Etats préfèrent conserver la PAC et les fonds de cohésion dont on connait à l’avance la répartition, parfois à l’euro près, à d’hypothétiques dépenses de compétitivité, dont on ne sait qui en bénéficiera. Certes, il faut davantage de dépenses de recherche et de compétitivité, mais pas trop. Une ligne de crédits crée une relation politique entre le budget européen et le bénéficiaire. Cette relation est alors ancrée et est très difficile à faire évoluer. Ce qui explique, par exemple, l’ attention et l’appétence figée des régions pour les fonds structurels.
 
Et pourtant, peu à peu, le budget se transforme. Sans révolution fracassante et sans heurt. Une coupe brutale de la PAC aurait été inacceptable, une évolution douce, en maintenant le budget à son niveau de 2013, est acceptée. L’absence d’indexation conduit à une baisse progressive de la part de la PAC dans le budget total. A l’échéance, en 2020, le budget de la PAC ne représentera plus qu’un tiers du budget européen. Un niveau qui n’est plus contestable. Accepter cette baisse, c’est probablement sauver le budget de la PAC pour toujours. A l’inverse, les dépenses de recherche et de compétitivité, même si elles ne marquent pas un bond exceptionnel, prennent une place incontestable dans le budget européen.
 
Touche après touche, CFP après CFP, le budget européen se transforme. A l’image de la construction européenne elle-même. Ce que l’on présente souvent comme des crises, ne sont en fait que des crises de croissance. 


[1] Après les perspectives financières – appellation initiale- de 1988/1992, 1993/1999, 2000/2006 et le cadre financier pluriannuel de 2007/2013
[2] (COM (2011) 398 final) et sa modification en date du 6 juillet 2012 (COM (2012) 388 final
[3] La Commission avait alors présenté une proposition de niveau de dépenses qui correspondait à 1,24 % du RNB européen, soit le plafond maximal théorique fixé pour les ressources propres.
[4] Les crédits d’engagements – CE- correspondent à des autorisations de dépenses, qui peuvent être échelonnées sur plusieurs exercices. Les crédits de paiements – CP- correspondent à des décaissements
[5] Les dépenses hors CFP atteignaient 28 milliards d’euros, sans compter les crédits du fonds européen de développement qui sont, depuis toujours, hors budget.
[6] Cette phase commence par des échanges techniques entre ministères du budget. La position officielle est présentée toutefois en Conseil des affaires générales par les ministres des affaires européennes
[7] Un positionnement assez différent de la notion de « juste retour ». Aucun Etat ne demande un « équilibre budgétaire » avec des dépenses européennes dans l’Etat à hauteur de ses contributions au budget européen, en revanche, les Etats ne veulent pas de « déséquilibre excessif » et se comparent volontiers entre eux, ils ne veulent pas qu’un Etat à prospérité comparable soit mieux loti qu’eux. Dans le passé, la France qui bénéficiait d’une position privilégiée en raison des retours de la PAC, a été souvent prise à partie. La décision sur les ressources propres de 2007 qui fait reposer une grosse partie de la charge des rabais budgétaires sur la France a mis fin à ce décalage. La France compte aujourd’hui parmi les principaux contributeurs nets au budget européen.
[8] Selon la proposition HVR 2, il s’agit de faire participer le Royaume Uni au financement de son propre rabais , en répartissant la charge du rabais entre 29 Etats membres - RU inclus- et non entre 28 - RU exclu- .
[9] L’accord au Conseil européen du 19 décembre 2005 s’était conclu à 862,36 milliards d’euros sur la période 2007/2013. L’accord interinstitutionnel ( Conseil/PE/ Commission) du 11 mai 2006 avait été de 864,32 milliards
[10] La notion de contributeurs nets s’apprécie soit en volume, par le montant net versé (cas de l’Allemagne avec un solde net de – 9 milliards en 2011, le plus important de l’UE), soit en proportion de la richesse du pays (cas de la Finlande ou des Pays Bas avec un solde net de – 0,36% du RNB du pays, le plus élevé d’Europe)


Mots clés : budget UE CFP 2014/2020
Source : Note ( questions d4Europe) de la fondation Schuman N) 266 4 février 2013
Date : 05/02/2013

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Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.