FINANCES DE L'EUROPE - Tout savoir sur le budget de l'Europe

Réévaluer le PIB

Une solution pour la crise : réévaluer le PIB ?
 
 
Encore et toujours le, les déficit(s). La plupart des Etats de la zone euro ne parviennent pas à respecter les critères budgétaires qu’ils ont eux-mêmes fixés en 1992 et qu’ils rappellent périodiquement - pour rappel, 3% de déficit annuel et 60 % de dette publique évalués par rapport au produit intérieur brut - PIB- de l’Etat considéré-. Tout cela a été dit et redit, sera dit et redit. Mais voilà que dans les couloirs des administrations, une idée germe, fruit d’un  mélange de CM2 et de prix Nobel.
 
Qu’est-ce qu’un taux ? Un rapport entre un numérateur – en l’espèce la dette et le déficit publics- et un dénominateur - le PIB, censé évaluer la production et la richesse nationale. Puisqu’on ne peut réduire le premier, ne pourrait-on augmenter le second ? Car le PIB est un mauvais indicateur de richesse. Le mode actuel de comptabilité est incontestablement très imparfait, puisque la richesse peut croître après un tremblement de terre (puisqu’il faut reconstruire) et que le PIB exclut une partie de l’activité réelle des citoyens telle que le travail au noir ou le travail à domicile non rémunéré: la cuisine, la garde des enfants, le ménage, le soin des personnes âgées, etc...  
 
En vérité, les Etats sont beaucoup plus riches qu’ils ne croient. Les Français font de la prose sans le savoir et créent des richesses sans s’en douter. L’idée revient périodiquement de changer le système. Il y a des dizaines de rapports là-dessus, rangés dans les placards, mais là, justement, avec la crise, l’idée semble devenir plus intéressante. Le dernier rapport en date remonte à 2009 – un moment d’explosion de la dette publique - et émane d’un économiste américain, Joseph Stiglitz, missionné par le président Sarkozy. Sa commission était composée à son image, de plusieurs prix Nobel. Le rapport fut chaleureusement accueilli par la communauté des économistes. Faute de savoir prévoir, ils inventaient quelque chose.
 
L’idée serait donc de comptabiliser à sa vraie valeur le travail domestique. En France, le PIB augmenterait de 30% ou 50 % si on évaluait ces heures au SMIC ou au cout réel calculé sur les métiers correspondants. Le projet est sérieux, fondé, séduisant même. Et puis, d’un coup, l’’endettement paraîtrait moins lourd.
 
Séduisant, certes, mais obscène. Evaluer par l’argent tous les gestes de notre vie. Où s’arrêter ? Que compter lorsque je rends visite à ma vieille amie de 93 ans en maison de retraite ? Faut-il accompagner le repas entre amis d’une petite addition ? Quel prix donner à la promenade du chien, voire au câlin du samedi matin, qui tout compte fait pourrait, lui aussi, être assuré par des services à la personne…? La dérive est déjà là. Aux Etats Unis, des écoles payent des enfants pour avoir de bonnes notes ; en Afrique, on sauve les derniers éléphants parce qu’un animal vivant rapporte plus vivant (par le tourisme) que mort. La société d’aujourd’hui est-elle desséchée à ce point? L’argent roi, le dieu vivant de notre société moderne. La merchandisation s’infiltre dans nos fissures sociales et les creuse jusqu’à la fracture inéluctable. Peut-on mieux  illustrer le décalage entre les « élites » et le peuple, entre les manipulateurs de concepts et les détenteurs de bon sens ?
 
Alors réévaluer le PIB ? Selon le mot de Jaurès, « quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots ». Avec la crise, quand les hommes ne peuvent changer les comptes, ils changent la façon de compter.
 


Mots clés :
Source : Les échos 3 août 2013
Date : 15/11/2013

Rubriques

Recherche


S'abonner & partager

A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.