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Cuisine politique autour du fait maison

Cuisine politique autour du « fait maison »
 Nicolas Jean Brehon, enseignant en finances publiques et titulaire du CAP de cuisine
 
 
La gastronomie française, élément du patrimoine national et du patrimoine immatériel de l’humanité, a été débattue au cours de l’examen du projet de loi sur la consommation. L’idée, toute simple, était d’indiquer, sur les cartes, le mode de fabrication des plats dans les restaurants. Un label, « fait maison », permettrait de qualifier et de valoriser la confection des plats sur place, par opposition à la cuisine pousse bouton, puisque de plus en plus de restaurateurs achètent des plats tout préparés et cuits sous vide, qu’il suffit de réchauffer au micro-ondes. Une pratique qui permet de s’affranchir des saisons et d’une des plus grandes contraintes de la cuisine : le temps. Or, le temps… Comment ne pas être tenté ?
 
Il ne faut pas nier que même les cuisiniers les plus renommés ont parfois recours à des artifices. Les poudres de fond de veau déshydratées sont bien commodes. En réalité, pratiquement tout peut être préparé à l’avance par l’industrie agro-alimentaire. Place au plat sous plastique, aux pâtes à tarte congelées, à la crème anglaise ou même à la vinaigrette qui arrive en bidon. Mais est-ce toujours de la cuisine ? Ainsi, les restaurants sont, de plus en plus souvent, des lieux où on réchauffe des plats plus qu’on ne cuisine.
Certains ont voulu garantir un savoir-faire. L’idée, lancée par quelques chefs étoilés, fut formalisée dans trois propositions de loi récentes émanant de parlementaires UMP. L’une, réservant l’appellation de restaurant « aux professionnels qui assurent la fabrication de leurs plats sur place à base majoritairement de produits bruts », l’autre « créant l’appellation d’artisan restaurateur », la troisième tendant à « préciser l’élaboration des plats dans les établissements de restauration ». Trois propositions qui venaient à point puisque le Parlement allait justement débattre d’un projet de loi sur la consommation. Le gouvernement proposa de l’inscrire dans la loi en faisant adopter, en juillet, à l’unanimité des députés, un amendement sur l’adjonction de la notion de « fait maison » sur les cartes. Mais, las, en septembre, le Sénat a supprimé cette disposition, les voix de l’UMP étant associées, pour l’occasion, aux voix communistes. Ainsi, ce que les députés de l’UMP avaient proposé, le gouvernement l’a traduit dans les textes, et… la droite sénatoriale l’a rejeté.
La bataille du savoir-faire a été gagnée à la première manche et a été  perdue à la deuxième. Avec quels arguments ? : les difficultés du contrôle, le flou des frontières entre « le vrai » fait maison et le « à moitié », l’opprobre injuste portée aux salariés qui fabriquent ces produits, l’excès des réglementations,… Entre le texte voté par l’Assemblée et son examen par le Sénat, il y eut aussi sûrement la pression discrète des industriels de l’agro-alimentaire qui, précisément, fournissent les restaurants en produits préparés, et l’appui des professionnels de la restauration eux-mêmes, bien embarrassés par cette initiative, et qui préfèrent s’en tenir à la définition du petit Robert, « un restaurant est un établissement où l'on sert des repas moyennant paiement", ce qui laisse la possibilité de « cuisiner » comme on veut. Et puis, quel mal y a-t-il à utiliser une technique d’aujourd’hui ?
Quel mal ? Plus qu’un mal, un suicide. 
 
Les Français ont un savoir-faire, une tradition, de l’or entre leurs mains. La cuisine française fait rêver le monde entier. Mais, si elle peut toujours s’abriter derrière ses chefs starisés et peut encore faire illusion auprès de la clientèle internationale, la clientèle nationale et européenne est plus lucide. Elle sait que si, autrefois, on mangeait bien partout en France, maintenant, il faut chercher et que les 200.000 restaurants de France n’apportent pas toujours le soin que l’on trouve dans d’autres pays d’Europe. Certains grands groupes français de l’hôtellerie font tout simplement honte à la cuisine française.
 
La France gâche l’un de ses atouts incontestés. Sont-ils si nombreux ? La réaction majoritaire des syndicats professionnels a été bien éloignée de cette tradition d’excellence. Les artisans des métiers de bouche, bouchers, charcutiers, pâtissiers, qui, par ricochet, y voyaient une défense de leur métier, sont indignés eux aussi.  
 
La réponse ne peut être seulement de préparer la cuisine en vitrine. Depuis, des années, l’agriculture française s’oriente vers une politique de labels, gages de qualité. Comment admettre que les cuisiniers, qui en sont les premiers utilisateurs, se refusent à suivre la même voie ?
 
Qui aurait pu croire, il y a seulement vingt ans, que la principale menace sur la cuisine française viendrait des restaurants eux-mêmes ? Bien que la conserve soit apparue au tout début du XIX° siècle, imagine-t-on Carème ou Escoffier servir des petits pois en boîte ?
Le risque est de garder l’image en vidant le contenu. Quand les cuisiniers cesseront d’être des orfèvres pour ne plus être que des marchands, la cuisine française vivra sur un mythe. Pour combien de temps ?
 
Tout n’est pas perdu, la procédure législative suit son cours. Il reste une deuxième lecture. Un réchauffé en quelque sorte. Carème, Escoffier, réveillez-vous, ils sont devenus fous.
 
 
 
 
 
 


Mots clés : gastronomie françaisen restaurants
Source : Le Monde 12 octobre 2013
Date : 15/11/2013

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.