FINANCES DE L'EUROPE - Tout savoir sur le budget de l'Europe

Les conséquences budgétaires d'une Europe fédérale

Vers un budget européen fédéral ?



Régulièrement, l’Allemagne relance le débat politique sur le fédéralisme. Curieusement, la nouvelle initiative du chancelier Schröder intervient lorsque le fédéralisme en Allemagne est en crise, mais les circonstances économiques (avec la mise en place de l’euro) et politiques (avec l’attente d’une réforme institutionnelle) commandent. Quelles seraient les conséquences budgétaires d’une Europe fédérale?

Le budget communautaire actuel, même s’il en a quelques signes (des ressources propres par exemple) n’est pas un budget fédéral. Il n’en a ni la masse ni les fonctions. Une structure fédérale apporterait des modifications radicales sur quatre points.

La première conséquence concerne la nature du budget communautaire. Avec la monnaie unique, la politique monétaire et la politique budgétaire seront gérées à deux niveaux différents. Dès lors que la première remonte au niveau de l’Union, on peut s’interroger sur la pertinence de maintenir les secondes au niveau national. Sans échelon central puissant, la seule coordination des politiques nationales peut s‘avérer insuffisante. L’Union monétaire conduit à terme à centraliser les politiques budgétaires. D’où cette idée de créer un véritable outil budgétaire communautaire. Comme dans un Etat fédéral.

Le budget communautaire cesserait alors d’être un moyen mineur de redistribution, programmé, sans marge de manoeuvre, pour devenir un outil d’intervention. Ce qui suppose une masse critique. Le budget européen, soit 94 milliards d’euros, représente aujourd’hui 1,11 % du PIB communautaire, dont un peu moins de la moitié consacré à la politique agricole. Pour qu’un budget ait un rôle de stabilisation économique face à des fluctuations conjoncturelles ou des chocs dans un Etat membre, il lui faut un volume suffisant. En 1977, lorsque la Communauté ne comptait que neuf membres, un rapport de la Commission avait évalué ce montant minimum à 5 ou 7 % du PIB, voire 9 ou 10% si la défense devenait communautaire. Pour fixer les idées, un budget fédéral au niveau communautaire, représente donc un minimum de 430 milliards d’euros, soit 1,7 fois le budget de la France (260 milliards d’euros).

La deuxième conséquence concerne les règles budgétaires. Une structure fédérale modifie les équilibres budgétaires respectifs de l’échelon central et des échelons fédérés. Aujourd’hui, en Europe, ce sont les budgets des Etats membres qui sont en déficit tandis que le budget de l’Union est obligatoirement en équilibre. L’Allemagne a d’ailleurs toujours été la plus vigilante au respect de cette règle du traité. Or, la situation est inverse dans une structure fédérale. Les budgets des Etats fédérés sont en général équilibrés et seul le budget central est en déficit. Un budget fédéral européen entraînerait donc un renversement complet de la règle communautaire actuelle.

La troisième conséquence concerne le financement. D’une part, un budget fédéral suppose de véritables ressources propres et non un simulacre comme aujourd’hui puisque l’essentiel des recettes du budget communautaire vient des contributions budgétaires des Etats membres. Au niveau évoqué, ces ressources ne peuvent provenir que des impôts à fort rendement, type TVA. C’est d’ailleurs le cas en Allemagne, où le produit de l’impôt est partagé entre le Bund (l’Etat central) et les Länder. Un budget fédéral suppose donc un transfert massif de la fiscalité et par conséquent des compétences nouvelles du Parlement européen. D’autre part, une structure fédérale n’empêchera pas les Etats de compter. Et de calculer le solde entre ce qu’ils versent au budget fédéral et ce qu’ils reçoivent. Sur la base des déséquilibres budgétaires actuels, la contribution nette annuelle de l’Allemagne atteindrait à terme 50 milliards d’euros! Il est impensable d’imaginer un budget fédéral d’importance sans une refonte complète des parts de chaque Etat dans le financement et dans la répartition des dépenses.

La dernière conséquence porte sur le choix des dépenses financées par l’Union. Un Etat fédéral repose sur une stricte séparation des compétences et par conséquent des dépenses entre l’Etat fédéral et les Etats fédérés. En général, les Etats fédéraux financent à titre exclusif ou largement dominant, les dépenses militaires, les dépenses liées aux relations internationales (diplomatie et douane), les dépenses nécessaires à la vie collective entre Etats (grandes infrastructures, postes...), ainsi que, de plus en plus, les dépenses de santé et de solidarité (sur le modèle du poverty act américain de 1964), laissant aux Etats fédérés la charge des autres dépenses, y compris les dépenses de police et de justice, pourtant considérées en France comme des fonctions régaliennes par excellence. Partant de ces principes, que mettre au pot commun européen ?

En évacuant la question des dépenses militaires, un budget fédéral imposerait une recomposition radicale des dépenses communautaires. Les dépenses agricoles seraient vraisemblablement renationalisées (encore que ce sont bien des dépenses fédérales, et non cantonales, dans la confédération Suisse). Les dépenses des politiques internes seraient refondues, une partie étant laissée aux Etats (politique culturelle, formation...), une autre revenant à l’échelon central (environnement, énergie, recherche...). Les dépenses externes seraient augmentées (une augmentation dont l’Allemagne serait d’ailleurs le premier bénéficiaire puisque la moitié des dépenses extérieures va vers l’Europe de l’Est mais lui revient indirectement par le biais des achats d’équipement). Les aides structurelles, opérant une redistribution entre Etats et entre régions, sont a priori de nature fédérale, mais la position allemande est ambiguë car c’est précisément sur ce point que le fédéralisme est contesté en Allemagne, les Länder les plus riches estimant que la double péréquation, horizontale (entre Länder) et verticale (du Bund vers les Länder les moins prospères) conduit à une forme d’assistanat stérile sans favoriser les convergences.

La plupart de ces propositions n’ont, en l’état, aucune chance d’aboutir à l’heure actuelle et une solution acceptable ne peut venir que de formules hybrides. Néanmoins, l’un des mérites du chancelier allemand est d’avoir ouvert un débat au moment opportun. Les gouvernements ne pouvaient éternellement éluder le problème constitutionnel européen.


Mots clés : budget, fédéralisme, perspectives financières, impôt européen, équilibre budgétaire, péréquation, constitution européenne
Source : Le Monde
Date : 19/06/2001

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.