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Le match France-Angleterre

Le nouveau match France Angleterre


Les négociations entre Etats membres sur le futur cadre financier européen pour 2007 à 2013 butent toujours sur le montant total à accorder au budget communautaire et sur la correction britannique, qui permet de réduire la contribution du Royaume Uni au budget européen (100 Mds €). Face aux Etats membres unis contre le rabais, le Royaume uni a contre attaqué en remettant en cause la politique agricole commune (PAC). En juillet, la rencontre entre le premier ministre britannique et le président français à ce sujet s’est soldée par « un désaccord aigü ». PAC contre chèque britannique, le débat n’est pas nouveau mais les circonstances politiques donnent à cette querelle un tour dramatique.

Il faut avoir la lucidité de reconnaître que les deux pays défendent leurs intérêts budgétaires directs. La correction britannique a représenté au cours des trois dernières années un montant moyen annuel de 5,4 Mds € dont 1,5 Mds à la charge de la France, premier financeur du rabais depuis 2000. Encore ne s’agit-il que du coût direct puisque, selon un rapport parlementaire « la France a été obligée d’emprunter au delà de ce qu’exigeait sa situation budgétaire et le coût annuel serait en réalité voisin de 2,4 Mds €». La PAC quant à elle, coûte au Royaume Uni environ 1,6 Mds €. Les sommes en jeu pour les deux pays sont donc aujourd’hui comparables mais les perspectives sont défavorables à la France puisque le coût de la correction britannique pourrait atteindre 2 Mds à l’horizon 2013.

Malgré son rabais, le Royaume Uni reste l’un des principaux contributeurs nets au budget communautaire, avec un solde net supérieur à celui de la France (respectivement -5,1 et –3,7 milliards d’euros). Mais avec l’élargissement, les positions vont s’inverser. Une étude de l’IFRI montre que la contribution nette française triplerait entre 2002 et 2013, tandis que celle du Royaume Uni serait réduite.

Enfin, les deux pays défendent sur la PAC des positions opposées. Qu’il s’agisse du financement du prochain élargissement à la Bulgarie et la Roumanie, de l’avenir des aides aux exportations, et surtout du cofinancement national de la PAC jusque là financée quasi exclusivement sur fonds européens.

Mais le débat est surtout politique. La première question est celle de la capacité de l’Europe à s’adapter à la prospérité, à l’élargissement et à la modernité. La correction instituée en 1984 vise à « compenser un déséquilibre excessif (vis à vis du budget communautaire) au regard de la prospérité relative du pays ». Quand le Royaume Uni a adhéré à la CEE, son niveau de vie était de 30 % inférieur à la moyenne communautaire, en 1984, il accusait encore un retard de 10 % par rapport à la moyenne; aujourd’hui, le niveau de vie britannique est l’un des plus élevé d’Europe, de 20 % supérieur à la moyenne européenne. Ainsi la correction, censée compenser le déséquilibre budgétaire d’un pays pauvre, est devenu un avantage pour un pays riche. Cette année, les dix nouveaux pays membres vont reverser 500 millions d’euros au Royaume Uni ! Ainsi, comme le note l’IFRI, le système de calcul est tel que « le pays ne contribuerait aucunement à l’effort de solidarité qu’implique l’élargissement ». Le maintien de la correction britannique en l’état serait aussi absurde que le maintien des fonds structurels pour l’Irlande à leur niveau des années 90. Le système actuel de correction britannique parait intenable. C’est pourtant sur ce même terrain de l’adaptation que se place le Royaume Uni: comment l’UE peut-elle défendre la stratégie de Lisbonne en faveur de la compétitivité et consacrer 42 % du budget à la PAC? Le Royaume uni propose donc de basculer une partie des crédits de la PAC vers des politiques plus dynamiques telles que la recherche dont il est incidemment le premier bénéficiaire en Europe.

La deuxième question est la capacité diplomatique des Etats à nouer et déjouer des alliances. Vingt pays sur vingt cinq sont favorables à une modification du rabais, et les quatre autres sont moins de véritables alliés à la cause britannique que des pays indifférents. Or dans l’UE actuelle une position isolée n’est pas tenable. On peut être seul contre quatorze mais on ne peut être seul contre vingt quatre. Conscient de cette fragilité, les Anglais ont contre-attaqué sur la PAC. La PAC cristallise les critiques dans les négociations internationales, la société civile prend désormais souvent fait et cause contre la PAC et même les agriculteurs eux mêmes n’y croient plus. Les Anglais se placent sous la bannière de la modernité et critiquent une politique fragilisée par les coups de butoir successifs de l’intérieur et de l’extérieur. La France a beau répondre que la PAC sert à tous alors que la correction ne sert qu’à un seul Etat, et que les réformes fondamentales de la PAC ont été approuvées par le Royaume Uni en 2002 (accord sur une enveloppe budgétaire jusqu’en 2013) et 2003 (découplage et modulation des aides), l’argument reste faible et la capacité de la France à fédérer les Etats membres est probablement moins forte depuis le référendum.

Enfin, le débat oppose deux conceptions des soutiens communautaires. Tandis que les autres politiques ne sont que des politiques d’accompagnement des politiques nationales et ouvrent des possibilités de financement avec des conditions à remplir, la PAC crée des droits, identiques pour tous les agriculteurs et est la seule politique budgétaire intégralement européenne. La PAC est la politique la plus intégrée de l’UE. L’argument est moins facilement utilisable par la France aujourd’hui, depuis le référendum. La France ne peut défendre ne peut défendre dans les bureaux ce qu’elle a refusé par les urnes.

Les Britanniques savent qu’ils devront céder sur la correction britannique mais ils espèrent qu’ils auront gain de cause sur la PAC, notamment en ouvrant la voie au cofinancement national au lieu et place du financement communautaire. Un diplomate britannique observait d’ailleurs, malicieux, que 2005 commémorait le bicentenaire de Trafalgar. L’amiral Nelson avait certes perdu la vie, mais la flotte française, elle, avait été coulée.


Mots clés : politique agricole commune, PAC, correction britannique, rabais, perspectives financières
Source : Le Monde
Date : 27/09/2005

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.