FINANCES DE L'EUROPE - Tout savoir sur le budget de l'Europe

Le financement de la stratégie de Lisbonne

         Cette stratégie, énoncée par le Conseil européen (CE) en mars 2000, consistait « faire de l’Union l’économie la plus dynamique et la plus compétitive du monde d’ici 2010 ». On sait ce qu’il advint : croissance atone, chômage élevé, décrochage par rapport aux Etats-Unis… Malgré cet échec à mi parcours, en mars 2005, le CE a choisi de reprendre la stratégie en misant sur l’innovation, le développement de l’économie de la connaissance, la compétitivité… L’objectif a encore été réaffirmé en 2006 par la Commission qui a demandé de «passer à la vitesse supérieure » et le CE des 24 et 25 mars qui a décidé de « relancer la stratégie en profondeur (…) en mobilisant tous les moyens nationaux et communautaires appropriés ». Qu’en est-il exactement ?

 

            A première vue, cette priorité n’apparaît pas dans le budget communautaire avec une évidence manifeste. Durant les deux années de négociation budgétaire, trois principales catégories de dépenses étaient en débat : les dépenses agricoles, les dépenses de cohésion, et les dépenses dite de « compétitivité au service de la croissance et de l’emploi », incluant la recherche, les réseaux de transport, les dépenses de formation… Compte tenu des contraintes budgétaires objectives ou fixées par les principaux Etats financeurs du budget communautaire, les propositions de la Commission de février 2004 ont toutes été revues à la baisse. Soit modérément, s’agissant des dépenses qui n’offraient pas beaucoup de marges de manoeuvre comme ce fut le cas des agricoles fixées dès 2002 (293 Mds€ sur sept ans) et les dépenses de cohésion (308 Mds€), soit de façon massive comme ce fut le cas pour les dépenses de compétitivité, finalement arrêtées à 74,2 Mds€, soit près de moitié moins que la demande de la Commission. Même si, au sein de cette enveloppe, les 48 Mds € des crédits de recherche augmentent de 40 %, l’accord final privilégie encore les politiques traditionnelles de solidarité de l’UE plutôt que les politiques explicites de compétitivité.

 

            Chacun est aujourd’hui plutôt embarrassé par ce décalage entre la grande stratégie du nouveau siècle et la faiblesse des moyens qui lui sont consacrés. Deux arguments sont néanmoins avancés pour contrer les critiques.

 

            Le premier argument, indiscutable, consiste à mettre en garde contre « l’effet d’optique ». La stratégie de Lisbonne est certes une stratégie européenne mais sa mise en oeuvre repose sur les Etats membres à travers les plans nationaux de réforme (PNR) qui déclinent une batterie de lignes directrices intégrées (LDI) définies par le CE en juillet 2005: favoriser l’innovation, adapter les systèmes éducatifs... Dès lors, il est tout à fait normal que le budget communautaire ne soit pas directement lié à la stratégie de Lisbonne puisque les vraies compétences et par conséquent les moyens sont dans les Etats membres. A charge pour chacun de vérifier que les crédits nationaux sont bien prévus à cet effet.

 

            Le second argument, plus contestable, consiste à compter des crédits qui à priori, ne sont pas explicitement liés à la politique de compétitivité. A l’instar de la prose de M. Jourdain, l’UE financerait la stratégie de Lisbonne sans le savoir. Il suffit de déterminer au sein du budget communautaire quelles sont les dépenses, qui peuvent être rattachées, de près ou de loin, voire de très loin, à la stratégie de Lisbonne. Ainsi, la politique de cohésion serait aussi et très largement une politique de compétitivité. En 2003 déjà, la Commission avait calculé que 97% des crédits destinés aux régions en difficultés structurelles et 85 % des crédits destinés aux régions en retard de développement contribuaient à la stratégie de Lisbonne. Une façon de s’approprier 270 Mds d’un seul coup, par simple convention. En mars dernier, la Commission communiqué sur « la contribution de la politique agricole commune à la stratégie de Lisbonne ».Ainsi, la nouvelle PAC dont la principale réforme, le découplage, consiste à verser des aides directes aux revenus des agriculteurs indépendamment de leur production, et la politique de développement rural, apporteraient elles aussi « une contribution essentielle au processus de Lisbonne ». Une façon de s’imputer 100 ou 200 Mds€ supplémentaires. Ainsi, les 74,2 Mds des crédits de compétitivité prévus par les PF ne seraient que le pic de l’iceberg. Si l’on suit la logique de Commission, les crédits contribuant à la stratégie de Lisbonne se monteraient plutôt à 4 ou 500 Mds sur sept ans. Il suffisait de le savoir. Il se pourrait pourtant que la combinaison d’un effet d’optique et d’un effet trompe l’œil ne conduise en définitive qu’à un effet boomerang que la Commission aurait bien cherché…


Mots clés : Financement, Stratégie Lisbonne
Source : Le Monde
Date : 03/05/2005

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.