FINANCES DE L'EUROPE - Tout savoir sur le budget de l'Europe

Cinquante ans de budget communautaire (étude)

    I Le budget de l’UE, au service de l’intégration européenne

 

            Le budget a été au service et même un acteur de l’intégration européenne. Cette intégration se manifeste par les moyens mis en ouvre et par les procédures suivies.

 
A- Les moyens mobilisés.
 

1/ Les grandes masses, quelques repères de chiffres

 

En trente ans, le budget a été multiplié par dix. Tous les seuils symboliques ont été franchis: 10 Mds d’écus en 1969, 50 Mds en 1986, 100 Mds € en 2004. En 2007, il atteint 126 Mds€ en crédits d’engagement, c’est à dire en dépenses autorisées, et 116 Mds€ en crédits de paiements, soit une somme comparable au budget moyen d’un Etat membre. La contribution évaluée à 100 € par habitant (en euros actualisés) à la fin des années 70, 200 € au début des années 90, atteint 235 € par habitant aujourd’hui.

 

Le budget reste relativement modeste, autour de 1% du RNB communautaire, une proportion stable depuis les années 90. Son niveau est parfois jugé insuffisant. Des marges de progression sont possibles, mais il faudra l’accord des principaux financeurs, encore réticents à l’augmentation du budget communautaire, comme en a encore témoigné la position affichée par les six principaux contributeurs nets au budget communautaire lors de la négociation des perspectives financières 2007/2013.

 

2/ La nature des dépenses

 

Le budget de l’UE n’est pas un budget comparable à celui d’un Etat membre (EM). C’est avant tout un budget opérationnel, un budget d’interventions, de subventions, par opposition aux budgets nationaux, préemptés par les dépenses liées au remboursement de la dette et aux dépenses de fonctionnement qui ne représentent que 6 % du budget européen. Deux principaux postes, la politique agricole commune (PAC) et les dépenses de cohésion absorbent près de 80 % du budget. On peut seulement regretter que ces deux volets laissent peu de place aux dépenses de recherche sans doute plus mobilisatrices pour la construction européenne.

 

Même décriée sur le plan économique et budgétaire, la PAC a été, sur le plan politique, l’une des actions européennes les plus abouties. « Tandis que les autres dépenses ouvrent des possibilités de financements - accordés après appels à proposition -, la PAC ouvre des droits » identiques pour tous les agriculteurs, dans tous les Etats, et répartis sur des critères objectifs (la production, les surfaces…). La PAC est encore, jusqu’à ce jour, la seule politique budgétaire authentiquement communautaire. Nulle autre n’a été poussé à ce niveau d’intégration.

 

3 /Le budget communautaire, mobile face aux défis.

 

Les élargissements ont été absorbés. Outre « l’effet base » lié au changement de périmètre, les élargissements ont aussi entraîné des inflexions budgétaires sensibles : la querelle sur le partage du financement du budget après 1973 (avec l’adoption d’une correction britannique en 1984), le développement de la politique régionale après 1986 (avec le doublement des fonds structurels entre 1987 et 1992), la prise en compte des questions d’environnement après 1995 (avec l’apparition du développement rural, deuxième pilier de la PAC), enfin la mobilisation de la politique de cohésion après 2005 (avec la priorité aux nouveaux Etats membres).

 

Les crises budgétaires ont été réglées. Dans les années 80, l’Europe devait faire face à des crises récurrentes: la contribution britannique, le bouclage du budget, les « marathons budgétaires » pour fixer les prix agricoles… Ces querelles ont été réglées.

            En 1984, l’adoption d’une « correction des déséquilibres budgétaires excessifs » a tempéré les critiques britanniques ;

            En 1988, l’adoption de la ressource PNB, une contribution nationale proportionnelle à la part du PNB de chaque Etat dans le PNB de l’UE, garantit le financement du budget ;

            A partir de la même année, le budget a été encadré par un cadre financier pluriannuel fixant des plafonds de dépenses d’abord pour une durée de cinq ans, puis, à partir de 1993, pour sept ans. Ces « perspectives financières » ont apporté la paix budgétaire ou ont au moins réduit la fréquence des conflits entre EM ;

            Enfin, la querelle sur la PAC reste vive mais « le colosse budgétaire », qui a absorbait autrefois les deux tiers du budget, a été vaincu. Les dépenses sont désormais équilibrées avec les dépenses de cohésion. Surtout, les réformes de la PAC de 1992 et 2003 ont profondément modifié le système d’aides. Auparavant, la PAC encourageait les productions par le biais de garanties de prix et de débouchés. Cette combinaison était à la fois économiquement contestable et budgétairement coûteuse. La réforme de 1992 a entrainé une baisse des garanties et des prix compensée par des aides aux revenus. La réforme a été amplifiée en 2003 par le système dit de découplage puisque désormais, la plupart des aides agricoles sont des aides directes aux revenus, indépendantes des productions. Le poids de la PAC reste contesté mais le risque de financement collectif de surproductions est désormais écarté.

 
 
B L’intégration par les procédures suivies
 

1/ une large gamme de procédures institutionnelles

 

Le budget communautaire mobilise toutes les institutions de l’UE. Le budget est préparé par la Commission. Initialement entre les mains du seul Conseil, c’est à dire les ministres des EM, l’adoption du budget depuis 1975 est sous la responsabilité partagée du Parlement européen et du Conseil. Le Conseil européen intervient pour fixer les grandes orientations, notamment le cadre financier pluriannuel. Même les parlements nationaux sont impliqués dans la ratification des décisions qui fixent la nature des ressources du budget européen. Ainsi, le budget est un acte collectif, au carrefour de toutes les légitimités, celle des Etats et celle des peuples.

 

Toutes les procédures sont activées. Codécision PE/ Conseil et majorité qualifiée pour le budget annuel, unanimité de droit ou de fait pour les ressources propres et le cadre financier Ce dernier, adopté par le Conseil européen, est ensuite repris par un accord inter institutionnel entre le Conseil, le PE et la Commission.

 

2/ le budget de l’UE, expression d’une culture du compromis.

 

L’UE a su évoluer dans ses principes. Aux termes du traité, le budget est financé par des « ressources propres », c’est à dire indépendantes des Etats membres. Mais le système mis en place est mixte, mêlant ressources propres authentiques (les droits de douane sont totalement communautarisés) et contributions nationales des Etats (c’est à dire des versements issus des budgets des EM). Le pragmatisme l’a emporté sur les débats de principe.

 

Le compromis est au coeur de la construction européenne et le budget a été exemplaire à cet égard. Les trois principales institutions -Commission, Conseil et PE- sont souvent dans trois logiques politiques différentes. Le budget est le lieu où s’expriment mais finalement se résolvent les contradictions qu’elles soient entre EM, entre institutions, entre anciens et nouveaux membres, entre espoirs et contraintes. Au risque de s’accompagner d’une certaine inertie. La discussion des perspectives financières 2007/2013 a été une illustration de ces affrontements et de ces compromis négociés.

 

3/ Le budget, précurseur de la construction européenne

 

Enfin, le budget a été un élément innovateur :

             Le budget a été le premier acte majeur adopté à la majorité qualifiée, même si le cadre financier, plus déterminant, reste adopté à l’unanimité.

            Très tôt, la Commission a mis en place des procédures de concertation interinstitutionnelle destinées à déminer les conflits.

            Enfin comment oublier que le budget a, le premier, utilisé une unité de compte indépendante des monnaies nationales – l’écu- bien avant l’euro.

 
 
 
 

II Le budget communautaire, un instrument au service de la solidarité.

 

            La solidarité est au fondement même de la construction européenne. Cette exigence figure dans le préambule du traité sur l’UE destinée à « approfondir la solidarité entre les peuples dans le respect de leur histoire, de leur culture et de leur tradition ».  De façon explicite ou implicite, le budget communautaire a été un vecteur de cette solidarité.

 
 
            A Les instruments explicites de solidarité
 

           1/ La politique de cohésion, bras armé de la politique de solidarité

 

            La solidarité s’exprime principalement par la politique de cohésion. Dès l’origine, le traité de Rome avait visé à « réduire l’écart entre les différentes régions » mais la « cohésion économique et sociale » a été un objectif explicite de l’UE avec l’acte unique européen de 1986. Cette politique passe par le biais des subventions des fonds structurels et du fonds de cohésion. Les dépenses sont concentrées sur des objectifs prioritaires, à commencer par le « rattrapage des régions en retard de développement » ou « la convergence ». Cette action a été évidemment sollicitée après le dernier élargissement de 2004/2007 puisque jamais les adhésions n’avaient concerné un aussi grand nombre de pays « pauvres » et jamais l’écart de richesse par rapport à la moyenne n’avait été aussi important

 

            La politique de cohésion mobilise des moyens budgétaires importants : 77 Mds € entre 1988 et 1992, 144 Mds entre 1993 et 1999, 234 Mds entre 2000 et 2006, 308 Mds entre 2007 et 2013 (en euros courants). Ainsi, près de 800 milliards€ (en euros actualisés) auront été affectés à cette fin en vingt cinq ans. Bien que les aides ne suffisent pas à garantir la croissance économique d’un pays, les quelques 17 milliards et 119 milliards€ -en € actualisés- reçus du budget communautaire par l’Irlande et l’Espagne depuis 1988, ont été et restent de puissants vecteurs d’attraction pour les nouveaux adhérents.

 

            Cet objectif prioritaire de rattrapage n’exclut pas les aides aux autres régions par le biais de « l’aide aux régions en difficultés structurelles»ou « la compétitivité régionale ». Ainsi, tous les Etats sont concernés par cette politique de cohésion et l’UE a une vision large de la solidarité conçue comme un tout et pas seulement comme une aide aux moins riches.

 

2/ les autres outils budgétaires de solidarité

 

            La programmation, si ancrée dans les pratiques communautaires, donne une visibilité mais réduit la réactivité face aux imprévus. Néanmoins, l’UE a multiplié les instruments spécifiques pour affirmer cette solidarité avec les populations, notamment en cas d’urgence, lors des catastrophes naturelles ou en cas de souffrances sociales. Le fonds de solidarité de l’UE, créé après les inondations de l’été 2002 ou le fonds d’ajustement à la mondialisation destiné à fournir une aide aux travailleurs fragilisés par la concurrence mondialisée sont des initiatives inspirées de cet objectif.

 

La nouvelle PAC elle même traduit une évolution comparable. En passant d’une politique d’aides à la production à une politique d’aide aux revenus des agriculteurs, la PAC a perdu sa vocation économique pour prendre une vocation sociale. C’est probablement un élément de fragilité pour le maintien de la PAC après 2013, puisqu’elle ne concerne qu’une petite fraction de la population, mais ce basculement révèle la montée en puissance de la solidarité dans les politiques communautaires. Les autres politiques financées par le budget européen connaissent les mêmes évolutions

 

 B / la solidarité implicite

 

1/ La solidarité par les mécanismes de décision

 

La présidence tournante oblige tous les Etats à s’intéresser au sort et aux questions des autres. Le budget est le lieu où cette exigence s’exprime et conduit par exemple la Suède à s’intéresser à l’huile d’olive.

 

Le système de pondération des voix au sein du Conseil, principalement fondé sur le critère démographique exclut la domination d’un seul EM ou même d’un groupe. Mieux, plus les Etats de l’UE sont nombreux et moins la position isolée devient possible. Face à onze ou quatorze, le Royaume uni pouvait tenir son « chèque ». Face à vingt quatre, et a fortiori à vingt sept, il ne pouvait plus. Il ne sera ainsi pour toutes les exceptions individuelles. Le jeu solitaire est exclu, seul le jeu solidaire est admis.

 

2/ La solidarité par le jeu des soldes nets

 

La solidarité s’exprime aussi par le jeu des mécanismes budgétaires connus sous le nom de solde nets. Le solde net procède d’un calcul simple qui consiste à comparer les versements d’un EM au budget communautaire et les retours que l’EM perçoit en retour. Le calcul, purement comptable, fait apparaître les bénéficiaires nets et les contributeurs nets. De très nombreuses critiques, toutes parfaitement fondées, ont été formulées à ce sujet.. La logique des soldes nets, arbitraire et inique, « parasite des débats européens », révèle les égoïsmes nationaux. La formule du « poison du juste retour » est un parfait résumé de ce qu’il faut penser de cette dérive.

 

Pourtant, selon la formule de Pasteur, « le poison est dans la dose ». Ces calculs sont regrettables mais force est de reconnaître que chaque Etat, sans exception, fait le sien. Les Etats bénéficiaires cherchent à le rester le plus longtemps possible et les Etats contributeurs nets cherchent à limiter leur contribution. D’ailleurs, en 2000 et en 2006, plusieurs Etats ont obtenu des réductions de leur financement du budget communautaire quand ils ont constaté une détérioration de leur solde. Cet état d’esprit, sans doute fâcheux mais certainement durable, n’empêche pas une redistribution significative entre Etats membres. Le budget, malgré ses travers, a bien été un outil de solidarité.

 
 
 

Solde nets cumulés 1986/2005 (en euros 2000)

Sélection des principaux contributeurs / bénéficiaires nets

 
Etats
Allemagne
Royaume Uni
France
Espagne
Grèce
Irlande
Solde net total (Mds)
- 175 Mds
- 40 Mds
- 30 Mds
+ 104 Mds
+ 56 Mds
+ 41 Mds
Solde net moyen annuel (Mds)
- 8,76 Mds
- 2 Mds
- 1,5 Mds
+ 5,2 Mds
+ 2,8 Mds
+ 2,1 Mds
Solde net moyen par hab et par an.
 -107 €
- 34 €
- 25 €
+ 132 €
+ 268 €
+ 575 €
 
Source :

Soldes nets 1986/1991 : cour des comptes européenne, rapports annuels de la Cour ; 1992 /2005 : Commission, répartition des dépenses opérationnelles rapport 2005

Actualisation en euros 2000 par indexation des prix dans l’UE source commission vademecum budgétaire 2000

La population prise en compte pour le calcul du solde net par habitant est la population de l’EM en 1995

 
 
 

Les aspects budgétaires de l’UE sont à la fois souvent méconnus du public et au centre de débats entre EM. Le PE travaille de son côté sur la possibilité de nouvelles ressources propres qui permettraient de rééquilibrer le financement du budget. Dans la construction européenne, la volonté politique est bien entendu déterminante et la réglementation – le droit européen- est plus visible. Le budget a été une sorte de moteur d’appoint de la construction européenne.



 En toute rigueur, l’appellation correcte est « budget communautaire », ce qui correspond au premier pilier de l’UE, mais dès lors que les deux autres piliers n’occasionnent que très peu de dépenses du budget, on assimile souvent « budget communautaire » et « budget de l’UE ».

 

Les données sont en écus courants, source vademecum budgétaire 2000, Commission. Les autres chiffrages de l’article sont actualisés en euros 2000 sur la base du taux d’inflation moyen de l’UE.

Cf « la lettre des six » parmi les six principaux contributeurs nets au budget de l’UE : Allemagne, Royaume Uni, France, Pays Bas, Suède, Autriche, favorables à un budget inférieur à 1% du RNB communautaire

le budget de l’UE est intégralement financé par ses ressources propres. Le recours à l’emprunt lui est même interdit. Il n’y a donc ni dette ni intérêts de la dette, premier poste de dépenses en France

Cour des comptes, rapport annuel 1992

Pour la culture par exemple, le Conseil est favorable aux grands manifestations internationales, la Commission, aux coopérations entre EM, et le PE à l’accès à la culture

 Les libellés ont changé en 2007. Jusqu’à cette date, l’objectif prioritaire était le soutien aux « régions en retard de développement ». Le nouveau cadre financier 2007/2013 l’a remplacé par l’objectif de « convergence ». Les deux s’adressent toutefois aux mêmes régions identifiées par un revenu moyen par habitant inférieur à 75 % de la moyenne communautaire. Le fonds de cohésion s’applique aux Etats dont le revenu moyen par habitant est inférieur à 90 % de la moyenne communautaire

En 1973, le niveau de vie de l’Irlande représentait 60 % de la moyenne communautaire ; en 1986, le Portugal était à 54 %, en 2004/ 2007, le niveau de vie de la Lettonie et de la Roumanie sont de 35 % de la moyenne de l’UE

On retiendra la parfaite synthèse de M. Jaques Le Cacheux, le poison du juste retour. Notre Europe, études et recherche N° 41


Mots clés :
Source : Questions d’Europe, Fondation Robert Schuman
Date : 01/04/2007

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.