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L'euro dans l'histoire de la monnaie française version courte

L’euro dans l’histoire de la monnaie française

texte publié par Libération et Les échos, les 1 et 2 janvier 1999

Ca y est, depuis le 1er janvier 1999 ; le franc n’existe plus. Le franc subsiste provisoirement - jusqu’au 30 juin 2002- en tant que moyen de paiement sous forme de pièces et de billets, mais a disparu en tant que monnaie à part entière.

Faute d’avoir été suffisamment expliquée, la confusion est fréquente entre une monnaie et un moyen de paiement. La théorie économique enseigne qu’une monnaie a trois fonctions : c’est une unité de compte (on évalue les biens et les services en une seule unité monétaire), c’est un moyen de paiement universel dans un espace donné (on paye tous ses achats dans une seule monnaie), et c’est une réserve de valeur. Le franc n’est donc plus une monnaie puisqu’aucun des critères n’est respecté : on peut aussi compter en euros, le franc ne peut être utilisé que pour certains règlements courants (les échanges financiers sont obligatoirement en euros) et ceux qui ont encore des liasses billets de 500 francs doivent songer à s’en défaire dans les trois ans. Ainsi les francs ne sont plus qu’un moyen de paiement partiel et ont désormais une place comparable à celle qu’occupaient les pièces jaunes en centimes qui étaient des subdivisions du franc et servaient aux échanges courants. On observera pour être complet que l’euro est désormais la monnaie de notre pays sans en avoir tous les attributs puisque les pièces et les billets en euros n’apparaîtront qu’au 1er janvier 2002.

C’est en réalité la quatrième fois que la France change de monnaie. L’euro succède au franc, créé à la fin de la révolution (loi du17 germinal an XI ), à la livre créée par Charlemagne pour se substituer à la monnaie romaine. Finalement, le franc n’aura vécu que deux siècles, soit beaucoup moins longtemps que les deux autres monnaies précédentes qui ont duré chacune près de 1000 ans. Sans compter, avant elles, la « monnaie marchandise », sous forme principalement de bœufs, qui servaient à évaluer les autres biens. On comptait alors en équivalents tête de bétail, per capita, d’où le mot capital qui remonte donc aux échanges les plus anciens.

Le franc, avant d’être une monnaie, a été une pièce. Le premier franc a été frappé en 1360, à l’occasion de la libération du roi Jean le Bon, après paiement aux anglais d’une importante rançon d’or. A cette occasion, une pièce est frappée que l’on appelle le franc, car le roi est « franc des anglais » c’est à dire libre. La pièce, trop riche en or, ne dure pas, en application du principe selon lequel « la mauvaise monnaie chasse la bonne ». En effet, les belles pièces sont soit conservées et ne circulent pas suffisamment, soit refondues en d’autres pièces moins riches en métal précieux. Le franc vaut alors une livre, qui est l’unité monétaire de l’époque. Un autre franc en argent est frappé quelques années plus tard, sans plus de succès. Le franc pièce ne s’impose pas et les grandes pièces de la monarchie sont l’écu, le teston et plus tard, le louis, créé par Louis XIII mais auquel Louis XIV donnera tout son lustre.

Car chaque époque a sa monnaie phare. Au XIII° siècle , c’est le florin (de Florence) qui circule le plus en Europe, au XVII° siècle, la piastre et la pistole espagnoles sont les monnaies les plus répandues. Harpagon par exemple compte en pistoles. C’est d’ailleurs à cette époque que le roi de France crée une nouvelle pièce pour faire face aux monnaies étrangères.

Car la monnaie a toujours été un enjeu de pouvoir. Il ne faut pas oublier, que, avant la presse et la publicité, les pièces sont le seul moyen de communication grand public. C’est par les pièces que les rois se font connaître (voire reconnaître, comme Louis XVI arrêté à Varennes après qu’un valet de poste ait reconnu son portrait sur une pièce), c’est par les pièces qu’ils assurent l’unification du royaume (comme Philippe auguste qui supprime le denier angevin après le contrôle de la Normandie) ou leur domination sur un territoire (comme Louis XIV qui crée l’écu de Flandres après sa conquête). Charles VII pendant la guerre de 100 ans, va même jusqu'à fondre les monnaies de ses adversaires pour frapper ses propres pièces.

Un phénomène comparable se produit aujourd’hui entre la nouvelle monnaie européenne et le dollar, contre lequel elle veut rivaliser. Cette lutte, portée cette fois au niveau mondial, n’est qu’une nouvelle péripétie dans l’histoire monétaire de l’Europe et de la France en particulier qui a toujours été faite de luttes d’influence.

C’est à la fin de la révolution française que l’on remplace la livre par le franc , dit franc germinal, et que l’on adopte le système décimal. La première pièce est une pièce de 5 francs dite 5 francs à l’Hercule. Une pièce quasi identique a été frappée par la Monnaie de Paris il y a quelques années, avant de fabriquer les 7,5 milliards de pièces nécessaires pour leur mise en service le 1er janvier 2002. Mais le franc le plus commun a été la pièce de 1 franc avec la célèbre semeuse gravée par Roty en 1898. Ironie de l’histoire, c’est l’année même du centenaire de cette pièce, frappée presque sans discontinuité depuis 100 ans que l’on passera à l’euro.

A chaque changement de monnaie ou à l’occasion des réformes monétaires importantes, les inquiétudes ont toujours été vives. En matière monétaire, les habitudes sont particulièrement longues à changer. Chacun connaît dans son entourage des personnes qui comptent encore en anciens francs alors que le passage des anciens aux nouveaux francs remonte quand même à près de 40 ans !... Mais un phénomène comparable se produit à chaque tournant. Au XIX ° siècle ,on comptait encore en sous alors que le sou, créé par les romains puis repris par Saint Louis, n’était plus utilisé en tant que pièce depuis des siècles !... Il faut s’attendre à ce que le passage à l’euro provoque les mêmes effets.

Avec ce recul, on s’aperçoit qu’il y a des constantes dans l’histoire. La monnaie est un instrument d’unification, une nouvelle monnaie est une façon de s’opposer aux monnaies des autres, et une nouvelle monnaie suscite toujours des appréhensions. Les rois, comme les Etats ont toujours rivalisé par les pièces et les monnaies, comme ils l’ont fait par l’industrie et les armes. La monnaie est la aussi la continuation de la politique par d’autres moyens. Les succès ont cependant été variables. Souhaitons bonne chance à l’euro !


Mots clés : euro, franc, monnaie, histoire de la monnaie,
Source : Le Monde
Date : 01/01/1999

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.