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La Corse et l'aide européenne

La Corse et l’aide européenne



Dans le tumulte ambiant, deux événements importants intéressant la Corse sont passés inaperçus en juin dernier. Le premier est la publication du nouveau règlement des fonds structurels. Le second est le contrôle sur place par des fonctionnaires français et européens, de certains crédits européens. Un contrôle cette fois sans histoire et sans bombe médiatique qui permet d’effacer la détestable impression laissée par le précédent, en 1994.

La Corse a une longue habitude de l’Europe. L’île est une des premières régions à avoir bénéficié des aides régionales, après l’élargissement de 1986. Il s’agissait alors des « programmes intégrés méditerranéens » (PIM), accordés à certaines régions, sur requête de la Grèce, afin de leur permettre de s’adapter à la nouvelle concurrence agricole après l’adhésion de l’Espagne et du Portugal. La Corse avait bénéficié de 90 millions d’écus (Mécus). Un début.

L’aide à l’île prend de l’ampleur avec la première vague de la politique structurelle (1989/1993). La Corse est déclarée éligible à l’objectif 1, réservé aux régions en retard de développement. L’indicateur est un PIB inférieur à 75 % de la moyenne communautaire, mais il existe aussi un critère accessoire selon lequel l’éligibilité peut être étendue à des régions proches du seuil indiqué, « pour lesquelles il existe des raisons particulières de les prendre en compte au titre de l’objectif 1 ». Cette éligibilité est très importante pour une région. La gamme d’investissements primables est plus large, les dotations sont plus massives et les taux de cofinancement sont plus avantageux que pour les autres objectifs. Or, la liste des régions de l’objectif 1 est établie par le Conseil. La France avance donc les «raisons particulières» qui permettent à la Corse d’être éligible à l’objectif 1, bien qu’elle soit déjà légèrement au-dessus du seuil (à 77 % du PIB moyen). La Corse bénéficie de 138 millions d’écus à ce titre, auxquels s’ajoutent des «programmes d’initiative communautaires» (PIC) qui complètent les dotations de l’objectif. Tous fonds confondus, la Corse reçoit alors 1,2 milliard de francs de concours communautaires sur la période 1989/1993 soit 240 millions de francs par an.

La seconde génération des fonds structurels (1994/1999) est plus avantageuse encore. Les conditions particulières sont à nouveau évoquées. L’enveloppe de l’objectif 1 passe à 250 Mécus, et si les PIM s’achèvent, le relais est pris par les PIC dont les dotations augmentent (36 Mécus) notamment Interreg (coopération interrégionale), Leader (aménagement rural) et, depuis 1997, Urban (rénovation urbaine). En revanche, une demande française de « programme spécifique pour compenser l’éloignement et l’insularité de la Corse » (POSEICOR), échoue en 1994.

L’Europe aide la Corse et les corses ne le savent pas toujours. Et pourtant, le lancement de la bière Piétra, à base de châtaignes (1 million de francs d’aide européenne, soit la moitié de la subvention à l’investissement primable), le recrutement d’un directeur export de la société (600.000 francs sur trois ans), la construction du palais des congrès d’Ajaccio ( financée à 50 % par les crédits européens soit 24,5 millions de francs), l’acquisition des optimists du centre d’animation nautique destinés aux enfants des quartiers défavorisés de Bastia... ont bénéficié des concours communautaires. Le total des aides communautaires se monte à 1,87 milliard de francs sur six ans, soit 312 millions par an. La contribution européenne annuelle par habitant (habitat recensé, hors population estivale) est de l’ordre de 1100 francs. La Corse est, sur ce critère, la première région de métropole à bénéficier des fonds européens.

Dans ces conditions, la nouvelle réglementation des fonds structurels a de quoi inquiéter. Car désormais, les critères d’éligibilité seront strictement interprétés. Avec un PIB qui atteint aujourd’hui 82 % de la moyenne communautaire, la dérogation dont bénéficiait la Corse s’éteint. Mais une autre prend le relais. Ce sera le « phasing out », un nouveau régime particulier qui permet de sortir en douceur de l’objectif 1 sous la forme d’une dotation transitoire et dégressive pendant encore six ans. La Corse n’est pas la seule région à être dans cette situation. La dotation du phasing out pour la France (551 millions d’euros, 3,6 milliards de francs) doit être partagée avec le Nord Pas de Calais, qui bénéficiait également de « circonstances particulières » et doit, lui aussi, sortir de l’objectif 1. Les discussions sur le partage entre les deux régions sont en cours. Un pré arbitrage est intervenu cet été et la somme finale devrait être communiquée en septembre. La Corse devrait recevoir entre 160 et 180 millions d’euros (1,05 - 1,18 milliards de francs), sans compter les nouveaux PIC, non chiffrés, et une éventuelle « réserve de performance » accordée à mis parcours. C’est moins que l’ancienne dotation mais ce n’est pas si mal.

C’est en tout cas un bon rétablissement pour une région qui, sur ce plan là, avait un passé chargé. On se souvient qu’en 1994, une mission de contrôle en Haute Corse avait fait quelques vagues. Le contrôle portait sur les primes à la vache allaitante et l’indemnité de montagne. Les contrôles laissés aux seuls nationaux ou aux vétérinaires insulaires ayant montré leur limites, une nouvelle enquête, mêlant fonctionnaires français et européens, avait été conduite par le directeur général de l’agriculture à la Commission européenne en personne. Le rapport avait été accablant. Prête-noms à répétition, prétendus éleveurs gérant de boite de nuit ou en prison, animaux comptés deux fois, primes à l’herbe accordés à des rochers... En dépit des répliques offusquées des élus, évoquant le complot anti corse compte tenu des pratiques courantes dans l’ensemble de la France, la délinquance rocambolesque alors mise en lumière accréditait l’idée d’un gaspillage des fonds européens, en particulier dans ce département. La critique affectait la Corse, mais aussi la France et l’Europe, raillées pour connivence ou incapacité. Une remise en ordre était nécessaire. Les crédits contestés (25 millions de francs) ont été remboursés par l’Etat (A signaler toutefois que, selon l’usage dans ce genre d’affaire, les contrevenants, eux, n’ont rien reversé). Une seconde mission s’est déroulée dans l’île en juin dernier. Rien à signaler cette fois. La Corse n’a plus à rougir de ses modalités de gestion des crédits européens. C’est, hélas, au moment où tout va mieux que les crédits diminuent...


Mots clés : fonds structurels, Corse, objectif 1, phasing out, contrôle des dépenses, éligibilité, PIM,
Source : Le Monde
Date : 31/08/1999

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.