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Les amendes, sanctions des cartels d'entreprises

Les amendes, représailles massives contre les cartels



Depuis 1962, la Commission européenne détient le pouvoir d’imposer des amendes aux entreprises coupables d’accords restrictifs de concurrence (article 81 du traité) ou d’abus de position dominante (article 82). Longtemps, les amendes ont été rares et relativement mineures. Au milieu des années 90, avant la mise en œuvre de la monnaie unique, la Commission a opéré un revirement stratégique en appliquant la doctrine des représailles massives et en fixant désormais le montant des amendes à un niveau dissuasif.

Le régime des amendes aux entreprises

Les amendes sont des sanctions administratives décidées par la Commission. Le calcul des amendes, codifié dans des lignes directrices, fait intervenir trois éléments. Le montant de base est calculé en fonction de la gravité et la durée de la faute. Les cartels ou ententes entre entreprises peuvent porter sur les conditions commerciales, les rabais aux clients par exemple, sur le partage du marché, et sur les prix. Une échelle de peines est prévu selon la gravité de l’infraction. Les infractions très graves sont passibles de plus de 20 millions d’euros, dans la limite de 10% du chiffre d’affaires mondial (le taux appliqué en France pour des affaires comparables par le Conseil de la concurrence est seulement de 5% du chiffre d’affaire réalisé en France). Le montant de base est ensuite corrigé par la prise en compte des circonstances aggravantes (récidive, rôle de meneur dans l’entente…) et atténuantes (position de suiveur dans l’entente, cessation des pratiques litigieuses dès l’examen par la Commission…). Depuis 1996, la Commission fait intervenir un troisième élément, plus discuté, qui consiste à accorder « la clémence » aux entreprises « coopératives » qui dénoncent les ententes secrètes à la Commission. Le délateur peut ainsi voir sa pénalité théorique réduite voire annulée. Cette politique a été réformée en 2002 pour faciliter l’immunité accordées aux repentis qui dévoilent une entente inconnue et fournit des preuves.

Des moyens humains ont été renforcés pour appliquer cette politique avec la création, en 1998, d’une cellule anti cartels au sein de la direction de la concurrence. Compte tenu des résultats obtenus, une nouvelle équipe a été constituée en 2002. Les fonctionnaires de la Commission, associés à ceux des Etats membres, opèrent sur pièces et sur place, en perquisitionnant par surprise auprès des sociétés litigieuses, en espérant trouver ce que les équipes appellent le « smoking gun », la note griffonnée au crayon non encore gommée, la disquette non effacée, ou toute autre preuve encore fumante d’une entente secrète illicite.

Le montant des amendes

Depuis l’origine, la Commission a infligé 4,1 milliards d’euros d’amendes, en 65 cas. Mais les amendes se sont surtout considérablement renforcées depuis cinq ans. La Commission a clairement voulu passer d’une logique de répression à une logique de dissuasion. Désormais, le couperet tombe, de plus en plus souvent, et de plus en plus lourdement. Les services traitent environ quarante dossiers par an, conduisant à huit à dix amendes par an contre un à trois cas par an en moyenne avant 1996. En 2001 et 2002, dix huit affaires, impliquant plusieurs dizaines de sociétés, ont été sanctionnées par 2,65 milliards d’euros d’amendes, soit un montant moyen de près de 150 millions d’euros par affaire, dix fois supérieur au montant moyen avant 1996. Le record a été atteint en 2001 avec une amende de 885 millions d’euros sanctionnant une entente sur le prix des vitamines par un cartel d’industries pharmaceutiques dont 426 millions pour la seule société Hoffmann-La Roche. Les recherches et les amendes, longtemps ciblées sur l’industrie ou la chimie, ont été étendues à tous les secteurs : le transport (273 millions d’amendes pour une entente sur les prix entre compagnies de transport maritime), les banques (124 millions d’amendes pour une entente sur les tarifs bancaires en Autriche,), les jeux vidéo (149 millions d’amendes à Nitendo pour une entente sur la distribution des jeux), le marché de l’art (20,4 millions d’amendes à Sotheby’s pour une collusion avec Christie’s), les produits alimentaires, etc… En mars 2003, une amende de 12 millions a été infligée à la FNSEA pour une entente sur le prix de la viande ce qui représente 1,2 fois le budget annuel du syndicat !

La quasi totalité des sociétés condamnées font appel des décisions de la Commission devant le tribunal de première instance communautaire, mais en attendant l’arrêt, ces décisions sont exécutoires. Les entreprises ont le choix soit de verser leur amende sur un compte rémunéré, soit de présenter une garantie bancaire.

L’amende, une fois définitive, est inscrite en recette du budget communautaire. Cette ressource vient en déduction des contributions des Etats membres au budget communautaire « ce qui, bénéficie, en fin de compte, au contribuable européen », comme le rappelle la Commission. Certes, ce n’est pas le but de cette politique, qui se veut avant tout dissuasive, mais force est de reconnaître que le produit des amendes n’est plus insignifiant. Quand 1 ou 10 millions d’écus étaient autrefois encaissés, 583 millions d’euros ont été inscrits au budget 2002, soit près de la moitié des crédits de personnel de la Commission. Comme le constate un des ses fonctionnaires, « la direction chargé de la concurrence est l’une des rares à ne pas verser de subvention et la seule qui rapporte de l’argent ».


Mots clés : amendes, concurrence, entreprises, droit de la concurrence, cartel, ententes, clémence, recette
Source : Le Monde
Date : 13/05/2003

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.