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Le financement des ports contre les déballastages en mer

La prévention contre les déballastages en mer


L’Erika et ses 10.000 tonnes de fioul déversés sur les côtes bretonnes ont, une nouvelle fois, montré l’importance des risques liés à la navigation maritime. Si les grandes pollutions accidentelles focalisent l’attention, l’essentiel des déversements de pétrole proviennent des déballastages ou « dégazages » en mer, qu’il s’agisse du nettoyage des citernes (un navire qui transporte du fuel devra nettoyer sa cuve avant de transporter du gasoil par exemple) ou du rejet des eaux souillées des machines. Ces déballastages doivent normalement avoir lieu dans des installations de traitement, mais une grande partie se fait quand le navire fait route, pour économiser le coût du service et du temps. Ces déversements sauvages d’hydrocarbures dans les océans atteindraient 2 millions de tonnes par an. Un rapport de l’Assemblée nationale chiffre cette « pollution de routine » à 600.000 tonnes en Méditerranée, soit l’équivalent de la pollution de l’Erika par semaine.

En complément des propositions sur la prévention des accidents (contrôles plus fréquents, double coque...), le Parlement européen et le Conseil ont adopté, en septembre dernier, une directive sur l’équipement des ports de la Communauté ( les Etats membres s’assurent que des installations de réception portuaires sont disponibles ), assorti d’une obligation de déballaster dans les installations appropriées ( les capitaines faisant escale dans un port de la Communauté doivent déposer tous les déchets d’exploitation des navires dans une installation de réception portuaire ). Cette adoption, à l’issue de la procédure de codécision, n’a pas été sans difficulté. Les difficultés n’étant pas sur le principe mais sur les modalités de financement du service.

Le financement du service

Deux conceptions s’opposaient. La première, défendue par la France, le Royaume Uni et les pays du Sud, et finalement par le Conseil, consistait à appliquer le principe du pollueur payeur et par conséquent à faire payer le coût du service de dépollution au navire utilisateur des équipements. La seconde, défendue par les pays du nord et le Parlement européen, consistait à intégrer le prix du déballastage dans les droits de port, considérant que dès lors que la navire paye de toutes façons le prix du service, autant l’utiliser. Le ministère des transports se défend d’avoir bloqué l’adoption de la directive, en faisant remarquer que dans une codécision Conseil-Parlement, chacun au départ, défend sa position.

Une conciliation est finalement intervenue sur une base médiane avec une formule mixte puisque le principe est qu’une part « non négligeable » - que la Commission a fixé à 30% minimum- sera financée par les droits de port, le solde étant financé par une redevance correspondant à la prestation. Chaque Etat est libre de mettre le curseur où il veut (rien n’empêche un pays de faire financer le service à 100% par les droits de port), d’adopter la formule de gestion de son choix (par un prestataire public ou privé), et de facturer le prix qu’il veut sous réserve qu’il ne soit pas « une incitation à déverser les déchets en mer ». Le coût du service, quoique très mal connu puisque les estimations des députés français varient entre 2000 et 200.000 francs, n’aura pas de conséquence sur le prix de l’essence puisque le coût du transport ne représente pas plus de 4 ou 5 centimes par litre.

Le financement des équipements

Si le financement de la prestation semble réglé, le problème du financement de l’équipement reste posé. Tous les ports ne sont pas équipés pour traiter tous les déchets liquides. Selon une estimation du Sénat, une installation de traitement coûte entre 50 et 60 millions de francs. Comment sera-t-elle financée ? Par les entreprises ? Par les collectivités locales ? Par l’Etat ? Par l’Europe ? Il ne serait pas absurde de penser que dès lors que l’Union impose une règle et un équipement, elle peut aussi prévoir les moyens d’y faire face. En d’autres termes, ces équipements portuaires sont -ils éligibles aux fonds structurels, notamment aux aides de l’objectif 2 destinées à la reconversion économique et sociale des régions en difficultés structurelles?

Oui, mais à deux conditions. La première est que le port en question soit dans une zone éligible. C’est le cas en France puisque la plus grande partie du littoral est couverte par l’objectif 2, à l’exception des côtes landaise et varoise et d’une partie de la côte vendéenne. La seconde est que la région en ait fait la demande. Au cours de la programmation précédente des fonds structurels (1994/1999) aucune région d’aucun Etat membre n’a inscrit ce type d’équipements parmi ses demandes. Dans la nouvelle programmation (2000/2006), à ce jour, une seule région, la région de Haute Normandie, a envisagé d’inclure dans son document de programmation (DOCUP) encore en discussion à Bruxelles, une mesure consacrée au « traitement des déchets portuaires ». Une initiative sans doute plus politique que technique, puisque les deux ports de la région, le Havre et Rouen, s’estiment suffisamment équipés dans ce domaine, où les arrières pensées ne sont pas absentes, ne serait-ce que pour redorer l’image d’une région moins connue à Bruxelles pour ses efforts en matière environnementale que pour la non application de la « directive oiseaux ». Cette initiative, encore non chiffrée, s’inscrit surtout dans une démarche prospective et de précaution, au cas où les besoins, plus ou moins satisfaits aujourd’hui, seraient croissants.

Pour l’heure, la priorité est au recensement des capacités de traitement des ports français. La demande financière, auprès de l’Etat ou de l’Union, ne viendra qu’après. Le montant d’un éventuel soutien européen dépendra du montant et de l’origine de l’investissement puisque dans le cas d’investissements privés générateurs de recettes, le taux de cofinancement européen n’est plus le taux habituel de 50% mais descend en dessous de 25%.

Cette action peut elle être complétée par des aides aux pays riverains, notamment Malte et Chypre, qui ont deux des six premières flottes mondiales ? A l’avenir, peut-être, mais pour l’instant, ce n’est pas le cas. Les protocoles financiers qui ont été signés avec ces pays ne prévoient aucune aide pour ce type d’investissements. Tout se passe comme si l’Europe n’était qu’au début d’un processus dont elle ne maîtrise ni tout a fait le coût, ni tout a fait l’efficacité.


Mots clés : déballastages, pollution pétrolière, ports, pétroliers, Erika, fonds structurels, pollueur payeur,
Source : Le Monde
Date : 14/11/2000

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.