FINANCES DE L'EUROPE - Tout savoir sur le budget de l'Europe

La recherche européenne manque de crédits

La recherche européenne dans l’attente d’un nouveau souffle

La recherche européenne peine à trouver sa place. Pratiquement à aucun moment, la dimension européenne n’a été évoquée lors des manifestations récentes du collectif « sauvons la recherche ». Ni par les chercheurs du collectif, ni par les autorités publiques. L’Europe n’est ni un réflexe ni une priorité pour la plupart des chercheurs, et les investisseurs publics restent prudents avant de s’engager dans une logique communautaire.

La recherche européenne, ou plutôt la recherche financée sur fonds européens, est organisée et mise en oeuvre par un programme cadre (PC) qui fixe les orientations de la recherche, les domaines thématiques à financer et les crédits correspondants pour cinq ans. Le budget du VI° PC qui couvre la période 2002-2006 s’élève à 17,5 milliards d’euros. 10 euros par habitant et par an, comme le rappelle la Cour des comptes européenne. Une somme modeste pour devenir un véritable acteur de la recherche en Europe. Le budget annuel, 4,8 milliards en 2004 réparti jusque là entre quinze Etats membres de l’UE, ne représente en effet que 4,8% du budget de l’UE, 5,4 % du total des dépenses de recherche publique dans l’UE ou à peine la moitié du budget civil de la recherche en France. Cette comparaison est cependant partielle, car les deux dotations, française et communautaire, ont des objets différents. Une large part des crédits français financent les dépenses de personnel et de fonctionnement des organismes de recherche, tandis que les crédits européens sont à 90 % des actions à frais partagés selon le vocabulaire communautaire, autrement dit des subventions qui interviennent en cofinancement de programmes de recherche menés en partenariat entre plusieurs organismes de plusieurs pays. Après harmonisation des données, la Cour a estimé que « le budget affecté aux actions indirectes représente environ un quart du financement total des projets sur fonds publics dans l’UE ». De fait, de plus en plus d’organismes de recherche bénéficient des concours communautaires. Le CNRS reçoit plus de 100 millions d’euros par an du PC, soit plus du tiers des financements équivalents de l’Etat. Pour certains établissements, les ressources communautaires peuvent aller jusqu’à la moitié des crédits opérationnels. Une part importante, même si globalement les établissements français ne reçoivent en moyenne que 12 % des crédits européens et n’assurent que 12 % des pilotages des projets transnationaux, loin derrière les Allemands et les Britanniques.

La recherche européenne reste mal connue, mal appréciée. Les raisons sont partagées. L’accès au dispositif européen reste compliqué. Chaque PC comporte son lot d’innovations (les primes de recherche exploratoires pour le IV° PC, les appels à manifestations d’intérêt pour le VI°) et personne ne s’y retrouve. Le formalisme est très poussé et impose un lourd travail administratif tant de la part de la Commission – entre 1999 et 2003 plus de 15.000 contrats engageant 77.000 partenaires ont été signés - que de la part des cocontractants. En outre, le « ticket d’entrée » est élevé. Le coût pour préparer des projets incluant aujourd’hui en moyenne dix partenaires de sept pays différents peut aller jusqu’à 40 % du montant de la subvention allouée. Le sénateur Pierre Laffitte a ainsi calculé que la dépense totale engagée par les organismes de recherche pour accéder aux fonds communautaires dont seuls 20 % sont lauréats, représentait le double de la subvention européenne. L’accès au financement européen coûterait finalement plus cher que la subvention elle même !...

Mais il y a également des raisons culturelles au faible engagement des chercheurs français vis a vis de l’Europe. Aux termes même du traité, la recherche européenne est orientée vers la croissance et la compétitivité, deux voies qui ne sont pas toujours prioritaires pour les chercheurs français, « peu habitués à la prise de risque», comme le reconnaissait Mme Michèle Rivasi. Dans un forum consacré à la recherche, un internaute évoque également « le conservatisme, le défaitisme, le nombre de rapports qui freinent le coeur du travail de recherche, la langue encore un peu, et le manque d’informations synthétiques ».

La recherche communautaire peine à trouver sa place, mais elle peine encore plus à trouver son rang dans les priorités européennes. L’objectif du Conseil européen de Barcelone en mars 2002, est de relever les dépenses totales de R D dans l’UE à 3 % du PIB à l’horizon 2010. Mais avec quels crédits européens ? La préparation du VII° PC qui doit démarrer en 2006, sera concomitante avec celle des prochaines perspectives financières européennes pour les années 2007-2013. La Commission a proposé de relever le budget communautaire jusqu’à 1,24 % du PNB et de doubler la dotation consacrée à la recherche. Plusieurs Etats membres ont souhaité stabiliser le budget à 1 % du PNB, ce qui laisse peu de marge pour de nouvelles dépenses. Dans les négociations qui s’engagent, les dépenses liées aux nouveaux Etats membres sont intouchables et les anciens Etats membres vont défendre avant tout leurs intérêts immédiats. La politique de recherche se trouve de fait en concurrence avec les autres politiques. Quand il s’agira de choisir entre politique agricole, fonds structurels, et recherche, c’est à dire entre les politiques traditionnelles de solidarité et une politique délibérément axée sur la compétitivité, les arbitrages seront douloureux.


Mots clés : recherche, PC, PCRD,recherche européenne, recherche communautaire, CCR, budget de recherche
Source : Le Monde
Date : 16/06/2004

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.