FINANCES DE L'EUROPE - Tout savoir sur le budget de l'Europe

Les raisons budgétaires du non irlandais

Irlande : l’argent de l’Europe n’a pas suffi
 
            Faut-il s’étonner du non irlandais ? Quel gouvernement se présenterait à une élection en disant aux électeurs qu’ils paieront plus, qu’ils compteront moins et que quelques uns seront sacrifiés? C’est pourtant ainsi que s’est présentée l’Europe aux électeurs irlandais. Cette accumulation de maladresses et un manque criant de sens politique expliquent la défaite européenne.
 
            L’Irlande est le parfait exemple du success story européen. Lors de son adhésion à la Communauté européenne, en 1973, le niveau de vie par habitant irlandais était de 40 % inférieur à la moyenne des six pays de la Communauté d’alors. En 2007, il est de plus de 40 % supérieur de la nouvelle moyenne des vingt sept pays de l’Union (47 % exactement) avec le deuxième plus haut niveau de vie de la nouvelle Europe, derrière l’exception luxembourgeoise. Le pays le plus pauvre de la Communauté des Neuf est devenu le pays le plus riche de l’Union des Vingt sept !
 
            Les aides européennes ne sont pas étrangères à cette performance. L’Irlande était éligible à tout : aux fonds structurels évidemment, lancées à partir de 1988 et précisément destinées au rattrapage économique (l’Irlande a reçu plus de 20 milliards d’euros de fonds structurels entre 1988 et 2006) mais aussi aux dépenses agricoles, puisque l’Irlande reçoit encore, chaque année, de l’ordre de 1,7 milliards d’euros de la politique agricole commune, et à quelques programmes spécialement ajustés pour l’Irlande tel que le programme PEACE d’aide au processus de paix entre catholiques et protestants. Dès la première année de son adhésion, l’Irlande a même obtenu le siège de la fondation européenne pour l’amélioration des conditions de travail, la première agence décentralisée créée par la Commission en dehors de Bruxelles. Par le jeu des soldes nets, la différence entre la contribution au budget communautaire et les dépenses européennes en Irlande, l’Irlande a reçu, en solde net, plus de 41 milliards d’euros (en euros actualisés) en vingt ans entre 1986 et 2005 soit plus de 520 euros par habitant et par an !
 
            Cela n’a pas suffi. Pour une raison simple, c’est que l’Irlande savait que cette époque était révolue et que c’était maintenant le tour des autres. Déjà, les crédits structurels avaient fondu : 4 milliards d’euros programmés entre 2000 et 2006, 800 millions seulement entre 2007 et 2013. Les perspectives agricoles, annoncées en pleine campagne référendaire, leur étaient très défavorables. La suppression des quotas laitiers était une menace pour les petites exploitations laitières, forcément dépassées par les grandes fermes industrielles d’autres pays, et l’accord annoncé à l’organisation mondiale du commerce sur l’ouverture du marché européen aux importations de viande d’Amérique latine était une menace pour un pays orienté vers l’élevage. Bientôt, s’ouvre une réflexion générale sur le futur cadre financier européen. Une réflexion sur les dépenses, sur les dépenses agricoles en particulier, et sur le financement. Il était clair que la situation d’un des pays les plus riches d’Europe qui continuait à bénéficier, jusqu’en 2006, de plus de un milliard d’euros par an en solde net, était une anomalie budgétaire, que cette situation ne pouvait pas durer, et que l’Irlande devait passer d’une situation d’ultra bénéficiaire à une situation normale de contributeur net, comme tout autre Etat d’un niveau de vie comparable. La comparaison avec le Danemark, les Pays Bas, l’Autriche, la Finlande est édifiante. Ces Etats, d’un niveau de vie comparable, sont tous contributeurs nets tandis que l’Irlande reste largement bénéficiaire. Cette situation ne pouvait pas durer et d’ailleurs, malgré le non irlandais, ne durera pas. La solidarité qui avait joué en sa faveur devait maintenant jouer envers les autres, notamment envers les nouveaux Etats membres qui ont fait du miracle irlandais leur rêve européen.
 
            Est-ce que cela a pesé dans le choix ? Certainement. De quel poids ? Personne ne le sait, mais ni les Irlandais ni les autres Européens n’aiment qu’on touche à leur porte monnaie. De surcroît le traité de Lisbonne a un gros inconvénient pour les petits pays peu peuplé : la pondération des voix dont ils bénéficient de façon explicite avec le traité de Nice, disparaîssait au profit d’une pondération implicite, liée à la démographie, qui leur est beaucoup moins favorable. Dans le traité de Nice, l’Irlande était un Etat mineur avec 7 voix sur 345 soit 2 % des voix, dans le traité de Lisbonne, l’Irlande devenait inexistant puisque ses 4,3 millions d’habitants ne représentent plus que 0,9% de la population totale et autant dans les voix du Conseil.
 
            La population irlandaise a dit non à cette évolution. Les budgétaires et les politiques en tireront une leçon. L’argent de l’Europe crée des situations qu’il est bien difficile de corriger par la suite.
 
Nicolas- Jean Brehon
Enseignant en finances publiques à Paris I Sorbonne
 www.finances-europe.com
 
01 42 34 24 95


Mots clés : Irlande, budget, fonds structurels, soldes nets Irlande
Source : non publié
Date : 25/06/2008

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.