FINANCES DE L'EUROPE - Tout savoir sur le budget de l'Europe

L'Espagne et le budget de l''UE

Les succès de la diplomatie budgétaire de l’Espagne

L’appartenance à l’Union Européenne suscite parfois des tiraillements, mais pas toujours. L’Espagne est un Etat membre satisfait, sinon comblé. Son adhésion en 1986 lui a été extrêmement profitable, politiquement, économiquement mais aussi, et c’est plus rare, budgétairement.

- L‘Espagne, grand bénéficiaire des crédits communautaires

L’Espagne est un contributeur modeste au financement du budget communautaire (6,1 milliards d’euros soit 7,3% du total en moyenne annuelle sur trois ans), mais le deuxième bénéficiaire des crédits européens (12,1 milliards d’euros soit 16,8 % des dépenses opérationnelles), juste derrière la France. Une différence qui assure à l’Espagne un solde annuel net largement positif de l’ordre de 6 milliards d’euros. C’est le meilleur résultat en Europe. Sans négliger le rôle des dépenses agricoles, qui représentent la moitié des versements européens, l’Espagne doit surtout cette position à l’importance des dépenses structurelles. Le pays est le premier bénéficiaire des fonds structurels de l’objectif 1 (réservé aux régions dont le PIB par habitant est inférieur à 75 % de la moyenne communautaire) et du fonds de cohésion (réservé aux pays dont le PIB par habitant est inférieur à 90 % de la moyenne communautaire). L’enveloppe totale est considérable : au cours des programmations 1993/1999 et 2000/2006, l’Espagne devrait recevoir près de 100 milliards d’euros de crédits structurels. Plusieurs infrastructures majeures ont ainsi bénéficié des cofinancements communautaires: le périphérique de Madrid, le réseau d’épuration des eaux usées, 4000 km de routes, et même la surveillance des côtes contre les déballastages…

Des transferts « qui ne doivent pas être considérés comme de la charité » comme le rappelle l’ambassadeur d’Espagne à Paris, mais comme l’expression d’une politique de solidarité, qui, pour l’Espagne, a fait la preuve de son efficacité. D’une part, les bouleversements consécutifs à l’adhésion ont été vite absorbés : l’Espagne a introduit la TVA, a éliminé les monopoles d’Etat et s’est ouvert aux importations européennes. D’autre part, tous les indicateurs économiques sont positifs. La croissance est l’une des plus fortes des pays membres, le PIB par habitant, même encore inférieur à la moyenne communautaire (l’Espagne a le 2° plus bas PIB par habitant juste au dessus du Portugal), s’en est rapproché de 10 points, à 85 % de la moyenne communautaire contre 75% au moment de l’adhésion. La Cour des comptes européennes a estimé que les fonds structurels attribués à l’Espagne auraient apporté à eux seuls 5,6 % de croissance supplémentaire, et le Parlement européen a chiffré l’impact fiscal annuel lié à la progression des exportations en Europe à 6 milliards d’euros…

Ces résultats sont aussi dus à une ténacité et une grande habilité dans la négociation budgétaire au point que l’on peut parler de « diplomatie budgétaire ».

Lors des négociations préalables à l’adhésion, l’Espagne, qui se présentait alors comme un « pays en développement », avait calculé que l’appartenance à la Communauté lui coûterait 300 millions d’écus par an pendant cinq ans. Un argument qui favorisa de nombreuses dérogations (report du versement des droits de douane, remboursements de dépenses…). Deux ans après son adhésion, le pays devint le principal bénéficiaire du doublement des crédits structurels entre 1988 et 1993. Lors de la nouvelle programmation (1993/1999), l’Espagne est à l’initiative du fonds de cohésion, réservé aux Etats, qui présente le double avantage d’être sélectif dans les projets (infrastructures et environnement) et de briser la logique régionale qui permet aux Etats riches de récupérer de l’argent via leurs régions les moins prospères. Là encore, l’Espagne en est le premier bénéficiaire.

- Les résultats du traité de Nice

En décembre 2000, le traité de Nice lui assure deux succès majeurs. Le premier concerne la modification de la pondération des voix au Conseil, décisive en matière budgétaire. En 1986, plusieurs Etats s’étaient opposés à ce que l’Espagne bénéficie de 10 voix au sein du Conseil, comme les « grands » Etats. Elle n’en n’eut que 8 mais obtint en échange deux commissaires européens ainsi qu’une modification des calculs des minorités de blocage qui lui permettaient de peser. Tenace, l’Espagne revient à la charge jusqu’à que le front cède. Le traité de Nice lui assure une quasi parité avec les « grands » Etats en lui attribuant à partir de 2005, 27 voix contre 29.

Le second succès concerne les fonds structurels et l’anticipation du prochain élargissement. Certes, du fait du rattrapage de son niveau de vie, l’Espagne se prépare à une diminution des crédits communautaires. Au rythme de développement actuel, elle sera écartée en 2006 du fonds de cohésion et les régions éligibles à l’objectif 1 seront moins nombreuses (cinq au lieu de huit aujourd’hui). Mais la perspective de l’élargissement est vécue sans appréhension. D’une part, l’Espagne a « verrouillé » la politique de cohésion, en reportant l’application de la majorité qualifiée après le 1° janvier 2007, après que les prochaines perspectives financières (et par conséquent les enveloppes des fonds structurels) aient été adoptées à l’unanimité, c’est à dire avec son accord. D’autre part, l’Espagne, aujourd’hui quasi absente dans cette partie de l’Europe, s’attend à prendre une place. Peu à peu, le « petit espagnol » redevient un « Grand d’Espagne ».


Mots clés : Espagne, retours, adhésion, impact des fonds structurels, fonds de cohésion, traité de Nice, pondération des voix
Source : Le Monde
Date : 04/06/2002

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.