FINANCES DE L'EUROPE - Tout savoir sur le budget de l'Europe

L'Allemagne et le budget de l'UE

L’Allemagne et le budget de l’Europe


Nota : cet article a été publié dans le Monde de l’économie du 2 février 1999 dans une version abrégée.

Avant même de prendre la présidence du Conseil, du 1er janvier au 30 juin 1999, l’Allemagne a annoncé qu’elle s’attacherait à régler le problème de sa contribution au budget européen. Un problème d’une simplicité arithmétique : l’Europe lui coûte cher.

L’Allemagne est, de loin, le premier contributeur au budget européen. Pendant près de quarante ans, l’Allemagne a financé environ 30% du budget européen, une part équivalente à celles de la France et de l’Italie ou du Royaume uni réunis, autant que les onze autres Etats membres. L’Allemagne est également, de loin, le premier contributeur net. Selon les rapports de la Cour des Comptes européenne -source incomplète mais homogène-, le solde entre les paiements communautaires en Allemagne et sa contribution est de l’ordre de 11, 8 milliards d’écus (78 milliards de francs) en moyenne annuelle sur les trois dernières années connues (1995/1997). Une situation sans équivalent qui conduit les Allemands à se considérer comme »les trésoriers de l’Europe».

Cette situation s’est légèrement améliorée depuis quelques années. En 1999, sa contribution - 22,7 milliards d’euros (149 milliards de francs)- représente 26,4% du budget, soit un niveau proche de son poids dans le PNB total de l’Union (26%), tandis que l’éligibilité des Landers de l’Est aux fonds structurels a permis d’accroître les retours. Une amélioration insuffisante aux yeux des Allemands qui s’apprêtent à mener l’offensive, soit en proposant une correction de type britannique (une diminution de leur contribution), soit en limitant les dépenses agricoles.

Ce type de démarche n’est pas nouveau. A la suite d’une pression constante des Anglais dès leur adhésion, le principe d’une correction budgétaire « en cas de charge budgétaire excessive au regard de la prospérité de l’Etat considéré», a été adopté au Conseil européen de Fontainebleau en 1984. L’Allemagne, mais aussi les Pays Bas, l’Autriche et la Suède ont souhaité faire jouer cette disposition et « ont exprimé leur mécontentement devant la situation d’autres Etats membres de même capacité contributive mais avec des soldes négatifs beaucoup plus réduits », comme c’est le cas de la France (-1,06 milliards d’écus, 6,94 milliards de francs) et l’Italie (-780 Mécus). Concernant l’Allemagne, une adaptation mineure est intervenue en 1988 sous la forme d’une diminution de leur contribution au financement de la compensation britannique. Plus récemment, en 1994, l’Allemagne a demandé et obtenu une réduction de sa participation aux crédits du CERN à Genève. Une nouvelle demande en 1996 a été rejetée par ses partenaires mais toutes les contributions ont été réduites.

Sur le plan politique, cet examen comptable est souvent jugé irrecevable. L’approche en termes de retours est contraire aux mécanismes de solidarité entre les Etats membres et méconnaît les avantages non budgétaires tirés de l’appartenance à l’Union. Mais ces arguments pèsent peu face aux chiffres et à leur perception. Or, selon l’expression de M. Daniel Strasser, « une situation inacceptable est une situation jugée inacceptable par celui qui la subit sans que cette caractéristique soit contestée par ses partenaires ».

Ce déficit massif n’a cependant pas empêché l’Allemagne de profiter pleinement des opportunités qui lui étaient offertes. La République fédérale est en effet le deuxième bénéficiaire des crédits de la PAC, après la France (respectivement 15 et 22% du total des crédits du FEOGA en 1997). L’agriculture allemande est devenue la deuxième agriculture européenne et l’une des plus compétitive. L’Allemagne est notamment le premier pays européen producteur de lait, de porcs, d’orge, et ses rendements céréaliers sont parmi les plus élevés d’Europe. Depuis la réunification, l’Allemagne est également le deuxième pays bénéficiaire des fonds structurels (3,5 milliards d’écus en 1997) derrière l’Espagne, mais avant la Grèce et le Portugal, malgré les crédits du fonds de cohésion qui leur sont spécifiquement consacrés. Enfin, l’Allemagne est l’un des premiers pays à bénéficier de façon indirecte des concours accordés aux autres Etats, membres ou non membres. En effet, une partie des crédits non agricoles accordés à un Etat ou une région est destinée aux commandes de matériels et d’équipements. Le positionnement de l’industrie allemande permet alors de bénéficier des retours communautaires, qui ne font alors que transiter par un autre Etat. Ce phénomène, qui a été constaté pour les fonds structurels attribués aux pays du sud, est amplifié avec les crédits accordés aux PECO. L’Allemagne ne pouvait, coup sur coup, financer à la fois la réunification et l’aide à ses voisins. Le budget européen, par l’intermédiaire des 11 milliards d’écus des crédits PHARE accordés aux PECO depuis dix ans, constitue un puissant relais et un levier de l’action bilatérale de l’Allemagne, la mieux placée, sur tous les plans, pour profiter des aides aux pays considérés (l’Allemagne assure 40% des exportations de l’Union européenne en direction des PECO).

Comment dès lors expliquer la position allemande ? Tout d’abord, le déficit comptable, malgré son amélioration, reste massif. L’Allemagne craint que l’élargissement, dont elle est le premier promoteur, n’entraîne de nouveaux dérapages budgétaires dont elle serait la première victime. Le déficit est si visible qu’en 1994, lors de la ratification de la décision sur les ressources propres qui fonde le régime actuel des prélèvements européens, les parlementaires allemands avaient exigé des améliorations. L’ancien chancelier s’y était engagé, le nouveau chancelier le fera.

Ensuite, cette démarche est une conséquence directe des contraintes que les Etats se sont eux-mêmes imposés pour accéder à la monnaie unique, notamment le critère du déficit public. La contribution européenne pèse sur le solde du budget de l’Etat fédéral. L’Italie, dans une situation comparable, avait d’ailleurs institué un « impôt européen », destiné en fait à trouver des recettes équivalentes à la contribution au budget communautaire, de façon à rester dans la limite des 3% autorisés.

Enfin, l’Allemagne de l’an 2000 n’est plus celle des années 80. Cette situation débitrice existe depuis l’origine mais n’était pas un problème face à la prospérité et la croissance d’une économie érigée en modèle, à l’influence économique et monétaire de l’Allemagne de l’époque. Malgré - ou à cause de - sa puissance, la République fédérale n’exerçait pas de rôle dominant au sein de la Communauté. Son engagement communautaire était sans ombre. L’Allemagne était impériale et incontournable mais discrète et sans équivoque.

L’Allemagne impériale n’est plus. L’Allemagne n’est plus qu’au cinquième rang des pays les plus riche de la Communauté (sur la base du critère du PIB par habitant). Au regard des critères de l’euro, ses performances sont moyennes, et à l’heure où une nouvelle page de la concurrence intra européenne commence, l’Allemagne part avec un handicap en termes de prix et de coûts. Un handicap nullement insurmontable à condition de comprimer les dépenses. Toutes les dépenses.

L’Allemagne impériale n’est plus, l’Allemagne incontournable demeure. La République Fédérale, qui n’avait jusque-là jamais profité de sa position pour revendiquer ou imposer un choix change d’attitude. Elle rompt le silence, s’exprime, réclame, revendique, prépare ses armes pour d’autres négociations. Notamment avec la France.

Chacun aura compris que ce dossier budgétaire n’est budgétaire qu’en apparence.


Mots clés : budget communautaire, Allemagne, retours, contribution nette, solde net, charge budgétaire,
Source : Le Monde
Date : 02/02/1999

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A propos

Nicolas Jean-BrehonParce que la construction européenne a un immense besoin de pédagogie, que celle ci est aujourd'hui mal assurée, et que chacun conviendra que toutes les initiatives pour y remédier sont bienvenues;
- Parce que les formations européennes notamment en finances publiques sont rares, et que l'information officielle est souvent complexe ou partiale;
- Parce que 20 ans d'expérience sur ces questions, en tant que haut fonctionnaire parlementaire, puis en tant qu'enseignant en finances publiques et chroniqueur budgétaire au Monde de l'économie, me conduisent à penser que l'opinion publique s'éveille et commence à s'intéresser à ces sujets;
- Parce que les ouvrages et articles dans ce domaine sont rares et qu'il m'a paru intéressant de regrouper les informations éparses.