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La note salée du sucre

La réglementation du sucre est l'une des plus protectrices de l'UE. Chaque Etat a un quota de production, les prix sont élevés, et les aides aux producteurs sont payées par les consommateurs. Le régime des échanges est absurde: alors que l'UE est en surproduction (échec des quotas), l'UE importe du sucre des pays tiers, qu'elle est obligée de réexporter avec subventions... Mais l'UE ne parvient pas à réformer cette organisation.

Rubrique: DEPENSES AGRICOLES

mots clés: sucre, quotas, organisation commune de marchés, OCM, PAC, surproduction,

La note salée du sucre


Comme la plupart des produits alimentaires, le sucre est réglementé au niveau européen par une « organisation commune de marché » (OCM) qui définit les règles de l’intervention communautaire. L’OCM sucre, créée en 1967 à une époque où la politique agricole commune était toute orientée vers l’autosuffisance, repose sur trois piliers.

- L’organisation commune du marché du sucre

La base de l’OCM est le système des quotas nationaux. Il y a deux quotas, un quota A pour la production affectée à la consommation intérieure, un quota B, destiné à compléter le quota A en cas de besoin ou à être exporté avec subvention. L’excédent, dit «sucre C», est normalement réservé à l’exportation sans subvention.

L’Organisation définit aussi des garanties financières. Le «prix d’intervention» est le prix que devrait payer l’Union si le sucre ne trouvait pas preneur sur le marché et était présenté à l’achat public par les sucriers. En pratique, il n’y a pas d’intervention, mais ce prix sert de référence au marché. Les aides effectives couvrent d’une part les frais de stockage, dont un stock minimum de onze jours de consommation, et d’autre part les restitutions, des aides à l’exportation qui permettent d’être compétitif.

Ces dépenses sont autofinancées par des cotisations payées par les producteurs, et répercutées sur le consommateur. L’OCM sucre est la seule organisation qui soit financée non par le contribuable européen, mais par le consommateur. En 2001, l’ensemble des « cotisations sucre » représente 1 milliard d’euros.

Le système subit des critiques sévères. La Cour des comptes européenne vient de publier un nouveau rapport accablant sur cette organisation.

La première critique concerne le niveau des prix. La spécificité du prix communautaire est d’être fixe, déterminé à l’avance pour plusieurs années, et à un niveau qui est aujourd’hui beaucoup plus élevé que le prix mondial. Un système qui garantit la stabilité des prix courants (soit une baisse des prix réels de 30% en dix ans) et évite les fluctuations d’un marché volatil. Qu’elles soient à la hausse (lors de la flambée de 1974), ou à la baisse, comme ce fut le cas entre 1995 et 1999 lorsque le prix mondial chuta de près de 60% avant de remonter de 30% en un an. En février 2001, le prix communautaire est encore 2,5 fois plus élevé que le prix mondial. La Commission a estimé le surcoût pour le consommateur européen à 6,5 milliards d’euros en 1999 (le surcoût serait aujourd’hui de 4,5 milliards).

Cette comparaison est contestable. Les deux prix portent sur deux produits différents (sucre blanc/ sucre brut) et tout approvisionnement sur le marché mondial, qui n’est en réalité qu’un marché résiduel inférieur à 15% du total des échanges, devrait être majoré des coûts de transport et de raffinage. Après corrections, l’écart serait ramené à 50%. Quelle serait l’économie pour le consommateur ? Le coût du sucre représente 57% du prix de détail d’un paquet de sucre et 5% du prix d’un produit alimentaire sucré. L’alignement sur le prix mondial représente donc une économie virtuelle de 2,28 F sur un paquet de sucre et 20 centimes sur une canette vendus 8F.

Un calcul théorique qui suppose que les baisses aient été répercutées sur le consommateur et non sur les marges des fabricants et des intermédiaires ! D’ailleurs, au Canada, qui s’approvisionne sur le marché international, les prix de détail ont augmenté de 25% entre 1995 et 1998, quand le prix mondial diminuait de 50%.

L’argument prix n’est pas imparable. Le surcoût n’est ni spécifique à l’Europe, car beaucoup de pays ont des marchés cloisonnés avec prix officiels élevés, ni démesuré, compte tenu des garanties offertes. En revanche, l’OCM sucre présente d’autres spécificités plus contestables.

- Le double échec : les quotas de production et les échanges extérieurs

Un quota est attribué à chaque pays, sauf le Luxembourg. Le but initial était de garantir l’approvisionnement, maîtriser la production, soutenir les exploitants, et répartir les avantages entre Etats membres. Le régime a été reconduit à chaque élargissement, cristallisant les positions de départ, indépendamment de toute prédisposition à la culture betteravière et au mépris des règles élémentaires de spécialisation (entre la Finlande et la France, premier producteur européen, les rendements varient de 1 à 2,5). Le régime est aussi absurde que celui qui consisterait à obliger les zones de montagne à produire du blé.

Le système a-t-il au moins servi à maîtriser la production ? Depuis vingt ans, la production est supérieure aux besoins. En 2000, la production de l’Union est de 17,7 millions de tonnes, dont 14,3 de «sucre communautaire» (sucre A et B), alors que la consommation n’est que de 12,8 millions de tonnes (34 kg/hab). Une surproduction qui est soit stockée soit exportée le plus souvent avec restitutions financées par les cotisations (coût : 515 millions d’euros). Quant au sucre C, les producteurs préfèrent reporter les 20% autorisés plutôt que l’exporter sans subvention quand le prix du marché mondial n’est pas assez rémunérateur (coût des stocks: 300 millions d’euros).

Le régime des échanges est également plutôt curieux. S’il est compréhensible que le consommateur européen paye un surcoût pour s’assurer une garantie d’approvisionnement à prix constant, est il normal qu’il paye aussi pour exporter des excédents et permettre aux consommateurs du moyen orient (premiers importateurs) d’avoir un sucre moins cher que le sien? D’autant plus que cet excédent structurel est majoré par des importations obligatoires. Cette disposition, initialement négociée par le Royaume Uni en 1973 au profit de l’Inde, a été étendue aux pays d’Afrique et du Pacifique. Ces 1,3 millions de tonnes d’importations, achetées au prix communautaire, viennent en surplus d’un marché déjà excédentaire et doivent donc être réexportées avec restitutions, mais financées cette fois par le budget hors cotisations sucre (coût :800 millions) !

Au total, la production européenne ne s’est adaptée ni à l’évolution des prix mondiaux, ni aux quantités demandées. Comment sortir de l’impasse? L’accord du Gatt de 1995 ayant imposé de réduire les exportations subventionnées, les quotas ont été diminués cette année, pour la première fois en 30 ans. La Commission a proposé une nouvelle reconduction de l’OCM pour deux ans (contre cinq ans d’habitude), le temps de poursuivre les études... Cette proposition a été rejetée par le Conseil, au motif que l’OCM «manquerait de visibilité»...



Source: Le Monde - 03/04/2001
Auteur: Nicolas-Jean BREHON




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