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L'astreinte, sanction financière contre les Etats membres.

L'astreinte est une condamnation financière à l'encontre des Etats membres, décidée par la Cour de justice sur demande de la Commission. Elle intervient après une procédure longue, car elle ne sanctionne pas un manquement au droit communautaire mais l'inobservation d'un arrêt de la Cour de justice sanctionnant l'inapplication de ce droit. Son montant,très encadré, peut attendre plusieurs centaines de milliers d'euros par jour.

Rubrique: FONCTIONNEMENT

mots clés: astreinte, droit communautaire, directive, inapplication du droit, sanction, cour de justice, contentieux, infraction, Etat membre

Les sanctions financières contre les Etats de l’Union.


La France commence l’année avec un nouveau contentieux devant la Cour de justice européenne. La Commission a enclenché en décembre 1999 une procédure d’infraction contre la France pour non respect de la décision européenne de lever l’embargo contre la viande bovine britannique. La France risque -t- elle de payer pour ce cavalier seul ?

La procédure conduisant à l’astreinte

L’astreinte est une condamnation financière d’un Etat membre, sanctionnant l’inexécution d’un arrêt de la Cour de justice européenne. Cette possibilité, prévue à l’article 228 du traité, a été introduite par le traité de Maastricht en 1992. La sanction est lourde mais étroitement réglementée. Il faut distinguer la procédure et la fixation du montant de l’astreinte.

L’astreinte ne peut être prononcée par le juge qu’après que trois conditions aient été réunies. Il faut tout d’abord que l’Etat en question ait déjà été condamné par un arrêt de la Cour, dit de “ constatation de manquement », pour inapplication du droit communautaire. Rappelons que le recours “ en manquement ” ouvre à un Etat membre ou à la Commission la possibilité de faire traduire un autre Etat membre devant la Cour de justice quand il n’applique pas, ou pas assez, ou pas à temps, une disposition du droit communautaire, qu’il s’agisse des dispositions du traité ou du droit dérivé (règlement, directive, décision).

Il faut ensuite que l’Etat concerné n’ait pas exécuté l’arrêt de la Cour de justice. Une fois l’arrêt prononcé, l’Etat est tenu de prendre les mesures nécessaires pour se conformer au droit communautaire « dans les délais les plus brefs possibles ». Dans le cas contraire, pendant longtemps, une procédure dite de “ manquement sur manquement », pouvait être engagée, aboutissant, au mieux, à une nouvelle condamnation juridique, politique. Cette sanction est désormais doublée d’une pénalité financière.

Troisième condition, l’astreinte ne peut être demandée que par la Commission. Dans le cas où l’Etat concerné, déjà condamné pour manquement, n’aurait pas pris les mesures nécessaires pour l’exécution de l’arrêt prononcé à son encontre, la Commission peut demander à la Cour, d’infliger le paiement d’une somme forfaitaire, globale, ou d’une astreinte, par jour d’irrégularité, à compter de la notification de l’arrêt.

La procédure contentieuse proprement dite se déroule en trois temps. La phase de la procédure écrite entre la Commission et l’Etat membre, l’audience de plaidoirie, le délibéré et l’arrêt. Autant dire qu’entre le moment de l’introduction d’une affaire pour manquement et la condamnation pour astreinte, plusieurs années se seront écoulées.

La fixation de l’astreinte

Cette menace ne peut être efficace que si la sanction est lourde. Elle l’est. La Commission considère que le montant de l’astreinte « doit être approprié pour assurer son caractère dissuasif ” et a défini des règles précises pour fixer le montant qu’elle pouvait demander. Le calcul part d’un « forfait de base » de 500 euros par jour, multiplié par deux coefficients censés tenir compte, l’un de la gravité et la durée de la faute, l’autre des capacités contributives du pays concerné, évaluées par le produit intérieur brut et le nombre de voix au Conseil. L’écart entre les infractions va de 1 à 60, doublé d’un écart entre les pays de 1 à 26,4. Pour la France, l’astreinte quotidienne serait comprise entre 10.550 et 633.000 euros (69.200 et 4.152.200 francs). La décision ultime revient à la Cour mais ces précisions lui sont particulièrement précieuses.

L’astreinte confère à la Commission, qui est toujours à l’initiative de la procédure, un pouvoir politico juridique qu’elle ne peut utiliser qu’avec parcimonie. Néanmoins, quatre procédures sont actuellement pendantes devant la Cour de Justice. Deux concernent la Grèce pour des affaires relatives à la réglementation environnementale et à la reconnaissance des diplômes, et deux concernent la France. L’une pour non exécution d’un arrêt de 1988 sanctionnant la non application d’une directive de 1979 sur la protection des oiseaux sauvages (la France a maintenu un plan de chasse pour le bruant ortolan, migrateur nocturne figurant parmi la liste des oiseaux protégés). L’astreinte demandée par la Commission est de 105.500 écus par jour de retard (692.000 francs). L’autre procédure est liée au maintien d’une législation sur l’interdiction du travail de nuit des femmes dans l’industrie, jugée discriminante. Un premier constat en manquement est intervenu en 1997, mais la législation demeure en vigueur. L‘astreinte demandée par la Commission est de 142.425 euros par jour (934.000 francs).

Sur le plan budgétaire, ces astreintes sont considérées comme des ressources propres du budget de l’Union. Il va de soi que tel n’est pas le but de la Commission et de la Cour, et que cette sanction est avant tout un moyen de pression pour faire appliquer le droit communautaire. Mais, pure hypothèse d’école, à supposer que ces quatre procédures aillent à leur terme, que les sommes demandées par la Commission soient retenues par la Cour, et que les astreintes soient perçues pendant un an, le montant total représenterait une somme de 114 millions d’euros soit l’équivalent de 90% du budget annuel de la Cour de Justice.

Sur les quatre contentieux, seules les procédures contre la Grèce sont au stade avancé des délibérés. Les affaires contre la France sont encore à la phase écrite, laissant le temps à l’Etat de se conformer à la règle communautaire. Un récent arrêté ministériel devrait permettre de classer l’affaire du bruant ortolan. Une modification de la loi française sur le travail de nuit devrait également intervenir au printemps 2000, arrêtant ainsi probablement la procédure contentieuse devant la Cour. Mais d’autres recours en manquement sont en cours, relatifs notamment aux classements des zones de protection spéciale des oiseaux et aux périodes de chasse. M. François Patriat, a déjà prévenu que “ la condamnation de la France pour non conformité (avec le droit communautaire) des lois de 1994 et 1998 (sur la chasse) est quasi certaine ”. La Commission ne cache pas son irritation devant ce mauvais exemple de la France, déjà impliquée dans la moitié des dossiers d’astreintes. A 700.000 francs la journée de retard, ces dossiers cessent d’être anecdotiques.


Nota/ Cet article a été publié dans le Monde de l’économie du 29 février 2000. Depuis cette date, une astreinte a effectivement été prononcée par la Cour de Justice, en 2001, à l’encontre de la Grèce. Après quelques mois, ce pays a réglé sa dette. Les procédures contre la France soit ont été retirées soit sont toujours en cours (2003).



Source: Le Monde - 29/02/2000
Auteur: Nicolas-Jean BREHON




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