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L'apprentissage de l'euro

Combien de temps faudra-t-il pour apprivoiser la monnaie unique? Avec une nouvelle monnaie nous perdons un référentiel et un symbole mais les choses finissent -doucement- par rentrer dans l'ordre. 30 ans après la création du franc, les personnages des romans de Balzac comptaient... en un peu tout.

Rubrique: L´EURO

mots clés: euro, franc, consommateur, apprentissage, passage à l'euro

L’apprentissage de l’euro : les leçons du père Goriot


Tout s’est passé très vite : dès le deuxième jour, la moitié des paiement s’effectuait en euros, les deux tiers après une semaine, 90 % après deux semaines et près de 100% seront atteints avant le 17 février. On s’est donc habitué à payer en euros. Mais s’est-on habitué à compter, à évaluer, en euros ? Un test : une paire de chaussures à 74,50 euros, c’est cher ou pas cher ? Une location de vacances à 1829 euros, c’est un bon prix ou non ? Combien de temps faudra-t-il pour « apprivoiser » la nouvelle monnaie ? L’analyse et l’expérience permettent d’éclairer la réponse.

La mort du franc se fait en trois temps. Il y a tout d’abord la mort juridique. La sentence a été prononcée le 1er janvier 1999, exécutée le 1er janvier 2002, avec un ultime coup de grâce le 17 février 2002 lorsque le franc cessera d’avoir cours légal. Ensuite, vient la mort monétaire. Par le passage à l’euro, nous perdons ce que les psychologues appellent « le référentiel », l’intuition des valeurs. L’apprentissage des chiffres, le calcul et l’intuition des prix, qui permet d’apprécier ce qu’il est possible d’acheter avec 10 ou 100 francs, se font tous trois à peu près au même moment, à l’enfance. Cet acquis est durable. Même un étranger parfaitement bilingue continue souvent de compter dans sa langue maternelle. Le passage à l’euro induit « une perte temporaire de l’intuition des prix qui se traduit par une difficulté à évaluer les prix en euros » (Sciences et vie, décembre 2001). Même si le réflexe doit être abandonné le plus vite possible, la plupart d’entre nous compenseront cette perte de repère en opérant par conversion, en revenant aux anciennes valeurs. Cette période s’annonce délicate en raison de la conversion applicable en France (on revient aux francs en multipliant par 6,56 ou par 7 - la table la plus dure..), et parce que « nos capacités de calcul mental sont limitées. Notre cerveau, pourtant plus puissant que le plus gros des ordinateurs, calcule très mal. Nous allons en souffrir avec l’arrivée de l’euro » (Jean Paul Delahaye, pour la science, N° 288, octobre 2001). Ces difficultés s’estompent toutefois au fur et à mesure du maniement de l’euro, qui crée de nouveaux référentiels et de nouvelles associations articles /prix.

Dernière étape, la mort symbolique. Car la monnaie est non seulement une unité d’échange mais aussi un symbole. La mort du franc doit s’accompagner d’un « travail de deuil ». Pour Jaques Birouste, professeur de psychologie à Paris X, « dans les mois qui suivent la disparition du franc, il y aura une complète remise en question identitaire. Avec l’euro, de nouveaux emblèmes du pouvoir vont circuler. La prise de conscience de la citoyenneté européenne va se faire par la monnaie» ( L’expansion , 25 octobre 2001).

Alors, combien de temps pour s’habituer à une nouvelle monnaie ? Les réponses restent évasives. Seul, un ancien président de banque écossaise, l’une des rares banques privées autorisées à émettre de la monnaie, s’est risqué à l’estimer : « 18 mois».

Un délai qui paraît court au regard des expériences.

Faute de rupture franche, la création du nouveau franc en 1959 est une référence imparfaite, puisqu’il suffisait de multiplier par 100 ou de parler en centimes, pour revenir à l’ancienne d’unité. Cette gymnastique est impossible avec le passage à l’euro. Mais même inapproprié, cet antécédent apporte un enseignement : il existe un seuil où le basculement s’opère. Ainsi, jusqu’à ces derniers jours, il n’était pas rare de rencontrer un individu, homme ou femme, ayant fait son apprentissage monétaire (le fameux référentiel) du temps des anciens francs, acheter une baguette 4,60 francs, payer un repas au restaurant 175 francs, mais vendre son appartement 80 millions. Un changement d’échelle incompréhensible pour un étranger mais parfaitement assimilé en France. On peut imaginer que le même phénomène se reproduira.

La création du franc, se substituant à la livre en 1795, paraît mieux adaptée aux comparaisons. Bien sûr, les analyses et les statistiques manquent, mais il reste la littérature. Et notamment Balzac et son père Goriot, édité en 1835 soit exactement 40 ans après la création du franc germinal. En quelle monnaie ses personnages parlent -ils ? Les jeunes jouent au whist en francs, mais Vautrin, plus ancien, évalue ses dettes en louis et en écus. Delphine paye sa couturière en francs tandis que le père Goriot, lui, compte sa pension en livres… Un joyeux mélange qui n’est pas sans difficultés puisque « les uns croient que le cachemire de 100 louis se donnent pour 500 francs, les autres qu’un cachemire de 500 francs vaut 100 louis ». Ainsi, le temps d’adaptation est propre à chacun. Le pire serait de (se) culpabiliser.



Source: Les échos - 04/02/2002
Auteur: Nicolas-Jean BREHON




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